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VI.- LE MÉCONTENT
D’abord, il grogna, irrité. Le poil hérissé tel un chat farouche et rebelle, méprisant les boîtes et les pyramides. Juste comme ça, sans même prévenir.
Puis, pour qui ne sait pas, une sorte de caresse tendre. Ensuite les coups de griffes qui se multiplièrent et gagnèrent en force. Et, plus tard, un tourbillon de mécontentement. En peu de temps, c’était une déferlante. À la fureur du vent s’ajouta une pluie, comme pour dire à la bourrasque qu’elle partageait sa rage. Elle projeta hommes et feuilles contre les murs des cahutes et, je le jure, les fondations de l’estrade en béton craquèrent.
Vent et pluie. Nulle part où se réfugier. Mieux vaut rester au milieu de la fureur que de se risquer au vol de guillotine des tôles arrachées, comme pour défier la modeste pudeur des préaux déjà nettoyés, repeints et aux murs rénovés.
Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, la tempête respecta la périphérie et se concentra sur le centre. Là où le squelette d’une pyramide s’élevait à plusieurs mètres du gravier.
Comme pour dire : « Ici, pas de pyramides ».
Et les draps qui simulaient les murs de la pyramide se gonflaient avec ce mélange d’ailes et de voilure qui ressemblait tantôt à un navire errant, tantôt à un avion égaré, sans terre en vue, avec seulement la certitude qu’en bas demeurait le sol qui attendait sans hâte, comme pour dire « ici, pas plus loin ».
Nous avons essayé de lui parler, mais entre la pluie et les rafales de vent, nous avons à peine réussi à obtenir à ce qu’il se calme suffisamment pour que les compañeros qui avaient grimpé au sommet pour installer le symbole de l’argent redescendent. Immédiatement, un souffle fort et concentré a fini par arracher la voilure et le drap s’est envolé vers le haut de la montagne.
« C’est comme ça que naissent les fantômes », pensai-je.
Nous avons commencé à expliquer de manière précipitée que ce n’était pas pour qu’en soi elle reste, mais qu’il s’agissait plutôt d’une sorte d’explication de la politique. Pour révéler, quoi. Rien à voir avec des dieux qu’ils soient faux ou vrais. Que, de toute façon, elle allait être détruite. Et pas seulement celle-là, mais toutes les pyramides. Oui, dans le tout et les parties. Oui, dans tous les recoins de la planète.
Il s’est calmé peu à peu, comme s’il doutait de notre engagement.
Il a fini par partir mais pas rapidement, comme pour dire « si l’être humain ne respecte pas ses engagements, nous respecterons les nôtres, nous, les parties de la première mère ».
-*-
Le SubMoy inspecta la construction et déclara : « Pas évident qu’elle tombe ».
Un compa testa la construction en faisant une entaille dans l’une des poutres transversales avec sa machette. Il murmura juste : « pour tomber, elle va tomber. Ça peut prendre du temps, mais elle tombera, c’est sûr. »
« Le plus difficile ça va être la colonne centrale, elle est très massive », a-t-il ajouté, « il va falloir y mettre beaucoup de force, beaucoup de volonté et non pas juste quelques-uns, mais beaucoup ».
« C’est-à-dire : en commun et organisés », déclara un jeune peintre. Nous avons tous ri, même si nous étions encore sous le choc de ce vent irrité venu allez savoir d’où.
« Ce poteau est bien enraciné. Même si on l’abat, il repousse. Il faut l’arracher jusqu’aux racines », dit une femme déjà âgée, debout, les mains sur les hanches face à la construction en bois, comme pour la défier.
« C’est l’âme de la système », répondit une compañera à la question d’une petite fille au sujet du mât central, « la propriété privée de la terre, des machines, des maisons, des personnes, de la nature, des rêves et des cauchemars, des cieux et des mers, de ce qui se voit et de ce qui ne se voit pas, du monde, quoi. Elle n’est pas seulement mise à la base de la système. Elle est aussi dans notre tête, dans notre cœur et dans notre histoire.»
-*-
« Mais combien vont venir ? », me demandèrent-ils.
« Un bon nombre », répondis-je.
« Mais ils apportent leur envie de lutter ? », insistèrent-ils.
« Va savoir », me dis-je, « comme le dit le SubMoy, il faut voir ».
« Eh Capitaine, cette chose va rester là pour toute la vie ? », me demande une milicienne.
« Non, qu’est-ce que tu crois, c’est pour la discussion zapatiste. Pourquoi tu demandes ? »
« Parce que je crois qu’une équipe de football va venir et, bon, cette chose est devant l’un des buts et là où est notre cantine. Donc il n’y aura pas de match ni de nourriture. Le match de football, passe encore, mais la nourriture, eh bien… »
Le soir commença à jaillir des arbres. L’espace d’un instant, la lune, le soleil, la pluie et le vent coïncidèrent, comparaissant devant la montagne.
-*-
Ça, ça va rester ici pour toujours ?
Eh bien, non, c’est pour cela que nous luttons. Parfois ça peut prendre du temps, mais nous allons être plus nombreux.
Et dans le vent résonna l’avertissement que la pluie avait gravé sur la terre :
« Si l’être humain ne respecte pas ses engagements, nous respecterons les nôtres,
nous, les parties de la première mère. La pyramide tombera. »
-*-
Pas si loin en calendriers et en géographies, la Palestine continue d’être une larme de sang sur le visage indifférent des gouvernements du monde.
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.
Le Capitaine.
Mexique, juillet 2025.
Images des préparatifs pour la « Rencontre de Résistances et de Rébellions Quelques Parties du Tout » d’août 2025, Terci@s Compas Zapatistas
Audio : Voix et paroles d’Eduardo Galeano, fragments des textes « Los Hijos de los Días » (« Les Enfants des Jours »), « El Miedo Manda » (« La Peur Commande ») et « Los Nadies » (« Ceux qui ne sont personne »).
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