Dixième partie : À propos des pyramides et de leurs usages et traditions.
Conclusions de l’analyse critique des MAREZ et CBG.
(Fragment de l’entrevue avec le Sous-commandant insurgé Moíses, réalisée au cours des mois d’août et de septembre 2023, dans les montagnes du Sud-est mexicain)
Novembre 2023
Introduction. –
Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des Rois.
Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maison
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la Muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent ce soir-là les maçons ? Rome la grande
Est pleine d’arcs de triomphe. Qui les érigea ?
Bertold Brecht.
(https://www.marxiste.org/theorie/culture/art-litterature/281-questions-d-un-ouvrier-qui-lit)
On connaît l’obsession des systèmes dominants, tout au long de leur histoire, pour sauver l’image des classes ou des castes dominantes vaincues. Comme si le vainqueur se préoccupait de neutraliser l’image du vaincu, ignorer sa chute. Dans l’étude des vestiges de la civilisation ou de la culture vaincue, l’accent est généralement mis sur les grands palais des souverains, les constructions religieuses de la haute hiérarchie et les statues ou monuments que les dominants de l’époque faisaient faire d’eux-mêmes.
Ce n’est pas toujours avec un véritable intérêt anthropologique ou archéologique (ce n’est pas la même chose), que sont étudiées les pyramides, par exemple. Leur sens architectonique-religieux – parfois aussi scientifique –, et ce que les brochures touristiques (et les programmes politiques de tous bords) appellent « la splendeur du passé ».
Il est naturel que les différents gouvernements se concentrent, non sans soupirs de désirs, sur les rois et les reines. Les grands palais et les pyramides peuvent être désignés comme références de l’avancée scientifique de ces époques, de l’organisation sociale et des causes « de leur essor et de leur déclin », mais aucun souverain n’aime voir son avenir se refléter dans le passé. C’est pourquoi ils déforment l’histoire passée et il est possible de reprogrammer des fondations de villes, d’empires et des « transformations ». Ainsi, sans le savoir, chaque selfie qu’ils se font sur les sites archéologiques cache plus qu’il ne montre. Là-haut, le vainqueur d’aujourd’hui sera le vaincu de demain.
Mais s’il n’est pas fait mention du fait que ces constructions ont dû avoir leurs concepteurs – leurs architectes, leurs ingénieurs et leurs artistes – , on mentionnera encore moins « la main-d’œuvre », c’est-à-dire les hommes et les femmes sur le dos desquels (à plus d’un titre) ont été érigées ces merveilles qui fascinent les touristes du monde entier pour tuer le temps avant d’aller en boîte, au centre commercial et à la plage.
De là à ignorer le fait que la descendance de cette « main-d’œuvre » est encore bien vivante et agissante, avec sa langue et sa culture, il n’y a qu’un pas. Les autochtones qui ont construit, par exemple, les pyramides de Teotihuacán et de la région maya du Sud-est du Mexique, existent (c’est-à-dire, résistent) et ajoutent parfois à leur résistance cette composante subversive qu’est la rébellion.
Dans le cas du Mexique, les différents gouvernements préférèrent cantonner les autochtones au rang d’artisanat vivant, voire à titre de chorégraphie à leur convenance. Le gouvernement actuel ne représente aucun changement à cet égard (enfin, pas seulement à cet égard, mais là n’est pas la question). Les peuples autochtones continuent d’être l’objet d’aumônes (cette aspirine pour effrontés), de récupération électorale, de curiosité artisanale et de point de fuite pour ceux qui administrent la destruction en cours : « Je vais détruire ta vie, c’est-à-dire ton territoire ; mais ne t’inquiète pas, je conserverai les pyramides de ceux qui ont exploité tes ancêtres ainsi que ces choses amusantes comme tes façons de parler, de t’habiller et de faire. »
Cela dit, cette « image » de la pyramide – la pointe supérieure étroite et la base inférieure large – est à présent utilisée par le Sous-commandant insurgé Moisés pour nous expliquer un peu ce qu’a été le travail analytique (féroce et implacable, à mon avis) des MAREZ et des Conseils de bon gouvernement.
Le Capitaine
Un peu d’histoire, pas beaucoup, juste 30 ans.
Les MAREZ [Municipalités autonomes rebelles zapatistes] et les Conseils de bon gouvernement [CBG] n’ont pas eu que des défauts. Il faut se rappeler comment nous en sommes arrivés là. Pour les peuples zapatistes, ils ont été comme une école d’alphabétisation politique. Une auto-alphabétisation.
La plupart d’entre nous ne savaient ni lire, ni écrire, ni parler espagnol. En outre, nous parlons des langues différentes. Ce fut une bonne chose car ainsi notre idée et notre pratique ne sont pas venues de l’extérieur ; au contraire, nous avons dû chercher dans nos propres têtes, dans notre histoire en tant qu’indigènes, dans notre mode, quoi.
Nous n’avions jamais eu l’occasion de nous gouverner nous-mêmes. Nous avons toujours été gouvernés. Avant même l’arrivée des Espagnols, l’empire aztèque, que le gouvernement actuel aime tant – parce que ce truc des petits chefs leur plaît bien, je crois – a opprimé beaucoup de langues et de cultures, non seulement dans ce qui est aujourd’hui le Mexique, mais aussi dans ce qui est aujourd’hui l’Amérique centrale.
Nous nous trouvions dans une situation de mort et de désespoir, quoi. Nous avons été coupés de tout. Il n’y avait ni portes, ni fenêtres, aucun interstice. C’était comme s’ils voulaient nous étouffer. Nous avons donc dû, en quelque sorte, ouvrir une brèche dans ce mur qui nous enfermait et nous condamnait. Comme si tout n’était que ténèbres et qu’avec notre sang nous allumions une petite lumière. C’est ce que fut le soulèvement zapatiste, une petite lumière dans la nuit la plus sombre.
Après il s’est passé que beaucoup de personnes ont demandé un cessez-le-feu et des pourparlers. Les gens des villes savent déjà ça, quoi. Il leur était arrivé à beaucoup d’entre eux la même chose qu’à nous, à savoir que les mauvais gouvernements ne tiennent jamais leurs promesses. Et ils ne le font pas, parce que les gouvernements sont les principaux oppresseurs. Nous devions donc choisir entre attendre qu’ils agissent un jour ou chercher de notre côté à nous. Et nous avons choisi de chercher notre propre voie.
Et, bon, nous avons dû nous organiser pour cela. Pendant dix ans, nous nous étions organisés et préparés pour le soulèvement armé, pour mourir et tuer, quoi. Et puis il s’est avéré que nous devions nous organiser pour vivre. Et vivre, c’est la liberté. Et la justice. Et pouvoir nous gouverner nous mêmes en tant que peuples, et non comme de petits enfants tels que les gouvernements nous voient.
C’est là qu’il nous est venu à l’esprit qu’il nous fallait faire un gouvernement qui obéisse. C’est-à-dire qui ne fasse pas ce qu’il veut, mais qui se conforme à ce que disent les pueblos [ndt : le mot pueblo peut évoquer les habitants, le village ou le peuple. Le français n’ayant pas d’équivalent pour exprimer tout cela en un seul mot, nous proposons de garder le mot castillan quand le contexte ne permet pas de choisir entre l’un ou l’autre sens]. En d’autres termes, « commander en obéissant », mot qui est maintenant plagié par les effrontés de maintenant (c’est-à-dire qu’ils ne plagient pas que des thèses. Ndlr).
Avec les municipalités autonomes, nous avons donc appris que, oui, nous pouvons nous gouverner nous-mêmes. Et cela a été possible parce que de nombreuses personnes nous ont soutenus avec désintérêt, pour trouver le chemin de vie. En d’autres termes, ces personnes ne sont pas venues pour voir quoi en tirer – comme ceux-là dont j’imagine tu vas parler là-bas, à ceux de dehors, quand tu parleras des 30 ans –, mais bien s’engager dans un projet de vie. Certaines voulaient nous dire ce que nous devions faire. Mais nous n’avons pas pris les armes pour changer de patron. Il n’y a pas de bon patron. Mais il y a eu d’autres personnes qui, oui, ont respecté notre pensée, notre manière.
La valeur de la parole.
Lorsque nous obtenons ce soutien, c’est comme un engagement que nous prenons. Si nous disons que nous avons besoin d’aide pour construire des écoles et des cliniques, pour former des promoteurs de santé et d’éducation, pour donner un exemple, nous devons nous y tenir. Nous ne pouvons donc pas dire que c’est pour une chose et l’utiliser pour une autre. Nous devions et nous devons être honnêtes, car ces personnes ne viennent pas pour nous exploiter, mais pour nous encourager. C’est ainsi que nous voyions les choses.
Nous devons donc supporter les attaques et les saloperies des mauvais gouvernements, des propriétaires terriens, des grosses entreprises qui nous testent, encore et encore, pour voir si nous tenons ou alors si nous allons céder à une provocation pour nous accuser de dire des mensonges, ou de vouloir aussi le Pouvoir et l’oseille. Et ce truc du Pouvoir, et bien, c’est comme une maladie qui tue les bonnes idées et qui corrompt, c’est-à-dire qu’il rend les gens comme malades. Et voilà qu’une personne qui semble être une bonne personne, et bien, avec du Pouvoir, la voilà qui devient folle. Ou peut-être qu’il était déjà fou et que le pouvoir a comme mis son cœur à poil.
Nous pensons donc que nous devons organiser, par exemple, notre santé. Parce que bien sûr, nous avons vu et nous voyons que ce que fait le gouvernement est un grand mensonge qui ne sert qu’à voler et qu’il se fiche que les gens meurent, surtout s’ils sont indigènes.
Et il est arrivé alors que, quand nous ouvrons une brèche dans le système et que nous y jetons un coup d’œil, et bien nous voyons beaucoup de choses. Mais beaucoup de gens nous voient aussi. Et parmi ces gens, il y a ceux qui nous ont regardés et qui ont pris le risque de nous aider et de nous soutenir. Parce que, et si jamais nous étions des menteurs et que nous ne faisions pas ce que nous disons ? Mais bon, ils ont pris le risque et ils nous ont poussés à nous engager.
Là-bas, tu vois, dans les villes, la parole n’a pas de valeur. Ils peuvent dire une chose une minute, et la minute d’après, ils disent le contraire, et tout cela, comme si de rien n’était, calmement. Il y a, par exemple, ce qu’on appelle la « mañanera » [ndt : allusion à la matinale télévisée du président López Obredor], où on dit une chose un jour et le lendemain son contraire. Mais comme il donne du pognon, on l’applaudit et on est contents parce qu’il fait l’aumône qui ne provient même pas de son travail, mais de ce que les travailleurs donnent aux gouvernements avec leurs impôts, qui sont comme la « taxe de droit d’usage » du crime désorganisé.
Ces gens nous soutiennent donc et nous avons commencé petit à petit avec la médecine préventive. Comme nous avions déjà récupéré les terres, et bien nous avons amélioré notre alimentation, mais on avait besoin de plus que ça. Alors la santé, quoi. Il faut récupérer les connaissances de l’herboristerie, mais ça ne suffit pas, on a aussi besoin de la science. Et grâce aux docteurs et aux doctoresses, que nous appelons « fraternités » parce que ce sont comme nos frères ; ils se sont rendus disponibles et nous ont guidés. C’est comme ça que sont nés ou se sont formés les premiers formateurs de santé, c’est-à-dire ceux qui préparent les promoteurs.
Et puis il y a aussi l’éducation, surtout « la castilla ». Parce que, pour nous, l’espagnol est très important, parce que c’est comme le pont qui nous permet de communiquer entre nous et de nous comprendre entre langues différentes. Par exemple, si tu parles le tzeltal, et bien tu vas batailler pour communiquer en langue ch’ol, en tzotzil, en tojolabal, en zoque, en mame, ou en quiché. Alors il faut apprendre l’espagnol. Et les écoles autonomes sont très importantes pour ça. Notre génération, par exemple, parle un mélange de langue et d’espagnol, pas trop bien quoi, c’est-à-dire qu’on parle de travers. Mais il y a déjà des générations de jeunes qui ont appris dans les écoles autonomes, qui savent mieux « la castilla » que certains habitants des villes. Feu le SupMarcos disait que ces jeunes pouvaient corriger les écrits des étudiants d’université. Et tu sais bien toi qu’avant, pour porter plainte, il fallait aller à la Comandancia pour la rédiger. Mais après, ça n’a plus été le cas. Dans chaque autorité autonome, il y avait un ou une écriveuse, et le résultat était pile poil.
Et puis c’est comme si une avancée en amenait une autre. Et en peu de temps, ben, ces jeunes en veulent plus, apprendre plus. Nous avons donc organisé notre santé dans chaque village, chaque région et chaque zone. Nous progressons dans chaque domaine de la santé, sages-femmes, plantes médicinales, hueseros [ndt : médecin traditionnel spécialiste des os], laboratoire, dentiste, ultrason, entre autres, et il y a des cliniques. Et pareil pour l’école, c’est-à-dire l’éducation. Nous disons école, parce que de l’éducation, les adultes, nous en manquons aussi, c’est très large pour nous ce que nous mettons dans « éducation », c’est pas seulement pour les enfants et les adolescents.
Nous organisons en plus le travail productif parce que nous avons de la terre maintenant, celle qui était aux mains des grands propriétaires avant. Et nous travaillons ainsi en famille et de façon collective la milpa, le champ de haricots, de café, les potagers, les animaux. Avec un peu de bétail, plus pour les urgences économiques et les fêtes. Le travail collectif a permis aux compañeras une indépendance économique, ce qui a entraîné bien d’autres choses. Mais de cela, elles en ont déjà parlé.
Une école.
C’est-à-dire que nous avons, comme on dit, appris à nous gouverner nous-mêmes et, ainsi, nous avons pu écarter les mauvais gouvernements et les organisations soi-disant de gauche, progressistes et je ne sais quoi encore. 30 ans à apprendre ce que signifie être autonome, c’est-à-dire que nous nous autodirigeons, nous nous autogouvernons. Et cela n’a pas été facile, car tous les gouvernements qui se sont succédé, PRI, PAN, PRD, PT, VERDE et MORENA, n’ont pas perdu l’envie de nous détruire. C’est pourquoi, tout comme pendant les gouvernements précédents, pendant celui-ci, il a été dit que nous avions déjà disparu, que nous avions fui, que nous étions déjà vraiment vaincus, qu’il n’y a plus de zapatiste, que nous sommes partis aux États-Unis ou au Guatemala. Mais tu vois bien, nous sommes là. En résistance et en rébellion.
Et la chose la plus importante que nous avons apprise dans les MAREZ, c’est que l’autonomie ne se fait pas dans la théorie, en écrivant des livres et en faisant des discours. Elle se fait dans l’action. Et nous devons le faire nous-mêmes en tant que pueblos, et ne pas attendre que quelqu’un vienne le faire pour nous.
Tout cela est, disons, ce qu’il y a de bon des MAREZ : une école d’autonomie pratique.
Et les Conseils de bon gouvernement étaient aussi très importants parce qu’avec eux nous avons appris à échanger des idées de luttes avec d’autres frères du Mexique et du monde, là où on a vu qu’il y avait du bon, on l’a pris et là où on a vu qu’il n’y en avait pas, on l’a écarté. Certains nous disent que nous devons obéir et faire comme ils le disent. Mais d’où ça sort qu’on va faire comme ça ? Alors que nous avons mis notre vie en jeu. C’est ça que nous valons : notre sang et celui des générations précédentes et celles à venir. Nous ne sommes pas là pour que personne vienne nous dire ce que nous avons à faire, même s’il se vante d’être très connaisseur. Avec les CBG, nous avons appris à nous retrouver et à nous organiser, à réfléchir, à donner notre avis, à proposer, à discuter, à étudier, à analyser et à décider par nous-mêmes.
Donc, en résumé, je te dis que les MAREZ et les CBG nous ont servi à apprendre que la théorie sans pratique n’est que du blabla. Et que la pratique sans la théorie, ben, tu marches à l’aveugle. Et comme il n’y a pas de théorie de ce que nous avons commencé à faire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de manuel ou de livre, et bien, alors nous avons aussi dû faire notre propre théorie. C’est en trébuchant que nous avons fait la théorie et la pratique. Je crois que c’est pour ça que les théoriciens et les avant-gardes révolutionnaires ne nous aiment pas beaucoup, parce que nous ne leur avons pas seulement pris leur boulot. Nous leur avons aussi montré que les mots sont une chose et que la réalité en est une autre. Et nous voilà, nous, les ignorants et les arriérés, comme ils disent, qui ne pouvons pas trouver le chemin parce que nous sommes des paysans. Mais nous sommes là et même s’ils nous nient, nous existons. Tant pis.
La pyramide.
Maintenant, vient le mauvais côté. Ou plutôt que mauvais, ce qui s’est avéré ne plus être utile pour ce qui est à venir. En plus des erreurs en soi. D’après ce que tu me dis, comment tout cela a commencé, c’est-à-dire comment c’est arrivé dans nos têtes, on vous le dira plus tard, on verra à ce moment-là.
Le problème principal, c’est la maudite pyramide. La pyramide a séparé les autorités des pueblos, les pueblos et les autorités se sont éloignés les uns des autres. Les propositions des autorités ne descendent pas telles quelles dans les pueblos, et les avis des pueblos ne parviennent pas non plus aux autorités.
À cause de la pyramide, beaucoup d’informations, d’orientations, de suggestions et de soutiens aux idées expliquées par les compañeras et compañeros du CCRI ne sont pas complètes. Le Conseil de bon gouvernement ne les retransmet pas de manière exacte et la même chose se produit lorsque les autorités des municipalités autonomes rebelles zapatistes sont informées, puis, lorsque les MAREZ informent les assemblées des autorités des pueblos et enfin, lorsque les autorités des pueblos divulguent l’information dans chaque village. Beaucoup de coupures des informations ou d’interprétations, ou d’ajouts qui n’étaient pas là à l’origine.
Et beaucoup d’efforts ont été faits aussi pour former les autorités, et tous les 3 ans, elles s’en vont et de nouvelles arrivent. Et la base principale des autorités des pueblos ne se prépare pas. C’est-à-dire, on ne forme pas de relève. Nous avons dit « collectif de gouvernement » et cela n’a pas été entièrement respecté, le travail a rarement été fait de cette manière, et plutôt c’est cette manière qui n’a pas été respectée, tant dans les MAREZ que dans les CBG.
Les autorités, comme MAREZ et CBG, tombaient déjà dans le piège de vouloir décider des tâches et des décisions à prendre. Elles voulaient laisser de côté les 7 principes du « commander en obéissant ».
Il y a eu aussi des ONG qui voulaient à tout prix que soient acceptés les projets qu’elles apportaient aux CBG et aux MAREZ, et qui n’étaient pas ce dont les pueblos avaient besoin. Et des personnes qui venaient en visite, qui se faisaient amis et amies d’une famille ou d’un village et qui n’envoyaient de l’aide qu’à elles et eux. Certains visiteurs voulaient carrément nous diriger et nous traiter comme leurs serviteurs. Et donc, nous devions leur rappeler avec beaucoup d’amabilité que nous sommes zapatistes.
Il y a également eu, dans certains MAREZ et CBG, une mauvaise gestion des ressources des pueblos et, bien sûr, ils ont été sanctionnés.
En bref, il est apparu que la structure suivant laquelle on gouvernait, en pyramide, n’était pas la voie à suivre. Elle n’est pas d’en bas, mais bien d’en haut.
Si le zapatisme n’était que l’EZLN, il serait facile de donner des ordres. Mais le gouvernement doit être civil et non militaire. Le peuple lui-même doit alors trouver sa propre voie, sa propre manière et son propre temps. Où et quand faire quoi. La chose militaire ne doit servir qu’à la défense. La pyramide est peut-être utile pour les militaires, mais pas pour les civils. C’est ce que nous voyons.
Une autre fois, nous raconterons ce qu’il en est, au juste, de la situation, ici, au Chiapas. Mais pour l’instant, nous disons seulement qu’elle est la même que partout ailleurs. Elle est encore pire que les dernières années. Aujourd’hui, les gens sont tués dans leurs maisons, dans leurs rues, dans leurs villages. Et il n’y a pas de gouvernement qui voit et écoute les demandes des pueblos. Et ils ne font rien parce que ce sont eux-mêmes les criminels.
Et ce n’est pas tout. Nous avons déjà dit qu’on peut voir de nombreux malheurs qui vont arriver ou qui sont déjà là. Si tu vois qu’il va pleuvoir ou que les premières gouttes tombent déjà et que le ciel est aussi noir qu’une âme de politicien, et bien tu prends ton imper et tu cherches un endroit où te mettre. Le problème, c’est qu’il n’y a nulle part où te protéger. Tu dois construire ton propre abri.
Le fait est que nous avons vu qu’avec les MAREZ et les CBG, il ne sera pas possible de braver la tempête. Nous avons besoin que la Dení grandisse et vive, et que naissent et vivent toutes les sept autres générations.
À cause de tout cela et du reste, nous avons entamé une grande série de réflexions et nous sommes arrivés à la conclusion que la seule chose qu’il nous restait, c’était une grande discussion et une analyse entre tous les pueblos, sur la façon d’affronter la nouvelle et mauvaise situation et en même temps sur la façon dont nous allons continuer à nous gouverner. Des réunions et des assemblées ont été organisées, zone par zone, jusqu’à parvenir à un accord : il n’y aura plus de Conseils de bon gouvernement ni de Municipalités autonomes rebelles zapatistes. Et nous avons besoin d’une nouvelle structure, c’est-à-dire que nous devons nous organiser d’une manière différente.
Bien entendu, cette proposition ne se limite pas à une réorganisation. C’est aussi une nouvelle initiative. Un nouveau défi. Mais je crois que c’est ce que nous dirons après.
Donc, en général, sans trop compliquer les choses, les MAREZ et les CBG ont été utiles, et très utiles même, lors de cette étape. Mais maintenant vient un autre pas et ces vêtements sont déjà trop courts, trop pelés, et ils se déchirent, et même si tu les raccommodes, ça ne sert à rien. Parce qu’à un moment donné, il ne restera plus qu’un morceau de tissu.
Alors, ce que nous avons fait, et bien, c’est couper la pyramide. Nous avons ratiboisé la pointe, quoi. Ou plutôt nous l’avons comme retournée et mise à l’envers.
Célébrer le passé ou le futur ?
Nous devons continuer à marcher, et en pleine tempête. Mais nous sommes déjà habitués en tant que pueblos à cheminer alors que tout est contre nous.
En décembre et en janvier prochains, nous ne célébrons pas les 30 ans du soulèvement. Pour nous, chaque jour est une célébration, parce que nous sommes vivants et en lutte.
Nous allons célébrer le fait que nous avons entamé un chemin qui nous prendra au moins 120 ans, peut-être plus. Cela fait déjà plus de 500 ans que nous sommes sur la route, nous n’en avons donc plus pour très longtemps, à peine un peu plus d’un siècle. Et ce n’est plus si loin. C’est, comme le dit José Alfredo Jiménez, « là, juste derrière la petite colline ».
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.
Sous-commandant insurgé Moisés.
(Fragment de l’interview réalisée par le capitaine Marcos pour les Tercios Compas. Copyleft Mexique, novembre 2023. Autorisation du CBJ… ah zut, s’il n’y a plus de Conseils… enfin, de la MAREZ… enfin, ben, non plus… Bon, ce qui est sûr, c’est que c’est autorisé. L’interview a été réalisée à l’ancienne, c’est-à-dire comme les reporters le faisaient autrefois, avec un carnet et un crayon. Aujourd’hui, ils ne se rendent même plus sur place pour avoir leurs infos, ils les obtiennent sur les réseaux sociaux. Oui, c’est bien dommage, dites donc).
J’en atteste.
Le capitaine, pratiquant la cumbia « Sopa de Caracol ». Trémoussez-vous même s’il y a de la boue !
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