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Palabra del Ejército Zapatista de Liberación Nacional

Nov052023

Deuxième partie: les morts éternuent-ils?

Deuxième partie: les morts éternuent-ils?

Octobre 2023.

Le SupGaleano est mort. Il est mort comme il a vécu : malheureux.

Par contre, il a bien pris soin, avant de périr, de rendre le nom à celui qui est chair et sang hérité du maître Galeano. Il a recommandé de le maintenir en vie, c’est à dire, en lutte. Donc, Galeano continuera de marcher dans ces montagnes.

Pour le reste, ce fut simple. Il commença à fredonner quelque chose du genre « ya sé que estoy piantao, piantao, piantao » 1, et, juste avant d’expirer, il dit, ou plutôt il demanda : « Les morts éternuent-ils ? », et plus rien. Celles-ci furent ses dernières paroles. Aucune phrase pour l’histoire, ni pour une pierre tombale, ni pour une anecdote racontée au coin du feu. Seulement cette question absurde, anachronique, hors du temps : « Les morts éternuent-ils ? »

Il est ensuite resté immobile, la respiration fatiguée suspendue, les yeux fermés, les lèvres enfin réduites au silence, les mains crispées.

Nous sommes partis. Sur le point de sortir de la cabane, déjà sur le seuil, nous avons entendu un éternuement. Le SubMoy s’est tourné vers moi, et moi vers lui, avec un « à tes souhaits » juste insinué. Aucun de nous deux n’avait éternué. Nous nous sommes retournés vers où se trouvait le corps du défunt, mais rien. Le SubMoy a seulement dit : « Bonne question. » Moi je n’ai pas dit un mot, mais j’ai pensé : « Il doit sûrement être avec la lune qui roule vers Callao »2.

Par contre, on s’est épargné l’enterrement. Mais on a raté le café et les tamales.

-*-

Je sais que personne ne s’intéresse à une mort de plus, et encore moins à celle du désormais défunt SupGaleano. En réalité, je vous raconte cela parce qu’il a laissé ce poème de Rubén Darío avec lequel il a commencé cette série de textes. Sans parler du clin d’œil évident au Nicaragua qui résiste et persiste – on pourrait même y voir une référence à l’actuelle guerre de l’État d’Israël contre le peuple de Palestine, mais, au moment de sa mort, la terreur qui aujourd’hui bouleverse le monde n’avait pas encore recommencé-, il a laissé cette poésie comme une référence. Plutôt comme une réponse à quelqu’un qui a demandé comment expliquer ce qui se passe en ce moment au Chiapas, au Mexique et dans le monde.

Et, bien sûr, comme un discret hommage au maître Galeano — de qui il a hérité le nom -, il a laissé ce qu’il a appelé « un contrôle de lecture » :

Qui a commencé ? Qui est coupable ? Qui est innocent ? Qui est le bon et qui est le méchant ? Dans quelle position se trouve François d’Assise ? Qui échoue ? Est-ce que c’est lui qui échoue, ou le loup, ou les bergers, ou eux tous ? Pourquoi d’Assise conçoit-il seulement un accord sur la base du renoncement du loup à ce qu’il est ?

Bien que ce fut il y a plusieurs mois, le texte a suscité des allégations et des discussions qui se poursuivent encore aujourd’hui.

Je vous décris donc l’une d’elles :

C’est comme une espèce de réunion ou d’assemblée ou quelque chose comme une table ronde. Il y a le meilleur de chaque maison : de savants spécialistes en tout, des militants et des internationalistes de toutes les causes sauf celles de leur propre géographie, des spontanés avec un doctorat en réseaux sociaux (la majorité), et quelques-uns qui, en voyant le bazar, se sont approchés pour voir si on offrait des seaux, des casquettes ou des t-shirts avec le nom d’un quelconque parti politique. Ils n’étaient pas peu nombreux ceux qui se sont approchés pour savoir à quoi correspondait cette pagaille.

« Vous n’êtes rien de plus qu’un agent du sionisme expansionniste et impérial ! »—, criait l’un d’eux.

«  Et vous, vous n’êtes qu’un propagandiste du terrorisme arabe musulman fondamentaliste ! » -, répondait un autre, furieux.

Il y avait déjà eu plusieurs débuts de bagarre, mais ce n’était pas allé plus loin que quelques bousculades du style « On se voit à la sortie ».

On était arrivés à ce point parce qu’ils avaient analysé le poème de Rubén Darío « Les Raisons du loup ».

Tout n’avait pas été un échange d’adjectifs, de piques et de grimaces. Cela avait commencé comme tout par ces contrées : avec des bonnes manières, des phrases percutantes, de « brèves interventions » — qui fréquemment duraient une demi-heure ou plus -, et un flot de citations et de notes de bas de page.

Que des hommes, bien sûr, parce que le débat était organisé par le dénommé « Club de Toby Hypertextuel »3

« C’est le loup qui est le gentil », a dit quelqu’un, « parce qu’il ne tuait que par faim, par nécessité ».

« Non », argumenta un autre, « il est le méchant parce qu’il tuait les brebis, qui étaient la subsistance des bergers. Et lui-même a reconnu que “des fois, il a mangé agneau et berger”.

Un autre : « les méchants sont les villageois, car ils n’ont pas maintenu l’accord ».

Un autre plus loin : « c’est la faute d’Assise, qui obtient l’accord en demandant au loup de cesser d’être loup, ce qui est contestable, et ensuite, il ne reste pas pour maintenir le pacte ».

Plus près : « Mais d’Assise signale que l’être humain est mauvais par nature ».

Ils se répètent d’un côté et de l’autre. Mais on voit que si on faisait un sondage à ce moment-là, le loup aurait un confortable avantage de deux chiffres sur le village des bergers. Mais une habile manoeuvre sur les réseaux sociaux a permis que le hashtag “loup.assassin” soit TT bien au-dessus de #mortauxbergers. Le triomphe des influencers pro bergers face aux pro loup fut ainsi clair, bien que seulement sur les réseaux sociaux.

Il y eut quelqu’un qui argumenta en faveur de deux États qui cohabiteraient sur le même territoire : l’État Loup et l’État Berger.

Et un autre pour un État Plurinational, avec loups et bergers, cohabitant sous un même oppresseur, pardon, je voulais dire sous un même État. Un autre lui répondit que cela était impossible, étant donné les antécédents de chaque partie.

Un monsieur en costume-cravate se lève et demande la parole : « Si Rubén (dit-il ainsi, en omettant le Darío) a continué la légende de Gubbio, alors nous pouvons faire de même. Donnons une suite au poème : 

Les bergers, faisant usage de leur légitime droit à se défendre, attaquent le loup. Détruisant d’abord sa tanière avec des bombardements, pour ensuite entrer avec des tanks et l’infanterie. Il me semble, chers collègues, que la fin est sans surprise : la violence terroriste et animale du loup est anéantie et les bergers peuvent continuer leur vie bucolique et tondre les brebis pour une puissante société transnationale qui fabrique des vêtements pour une autre société multinationale tout aussi puissante, à son tour tributaire d’une institution financière internationale encore plus puissante ; ce qui mènera les bergers à devenir d’efficaces ouvriers de leurs propres terres -avec, par contre, tous les avantages de la loi, et élèvera ce village au niveau du premier monde, avec des autoroutes modernes, de grands bâtiments et même un train touristique où des visiteurs du monde entier pourront apprécier les ruines de ce qui avant était des prairies, des bois et des sources. L’anéantissement du loup apportera paix et prospérité à la région. Bien sûr, quelques animaux mourront, peu importe le nombre ou l’espèce, mais ce ne sont que des dommages collatéraux parfaitement oubliables. Après tout, on ne peut pas demander aux bombes de discerner entre un loup et un mouton, ni qu’elles limitent leur onde expansive pour ne pas nuire aux arbres et aux oiseaux. La paix sera conquise et le loup ne manquera à personne. »

Quelqu’un d’autre se lève et signale : « Mais le loup a un soutien international et il habitait en premier ce lieu. Le système a coupé les arbres pour les pâturages, et cela a altéré l’équilibre écologique, réduisant le nombre et les espèces des animaux que le loup consommait pour vivre. Et il est à attendre que les descendants du loup se vengeront, à juste titre. »

« Ah, alors le loup tuait aussi d’autres créatures. Il est pareil aux bergers », réplique quelqu’un.

Ils continuèrent ainsi, donnant d’aussi bons arguments que ceux signalés ici, pleins d’esprit, de flots d’érudition et beaucoup de références bibliographiques.

Mais la mesure ne dura pas longtemps : on passa du loup et des bergers à la guerre Netanyahu-Hamas et la discussion est montée d’un ton jusqu’à arriver à ce qui est au commencement de cette anecdote, courtoisie post-mortem du désormais feu SupGaleano.

Mais à ce moment-là, au fond de la salle, se leva une petite main demandant la parole. Le modérateur ne parvenait pas à voir à qui était la main, il concéda donc la parole « à la personne qui lève la main là-bas, au fond ».

Tous se retournèrent pour regarder et ils furent sur le point de pousser un cri de scandale et de réprobation. C’était une petite fille qui portait un ours en peluche qui était presque aussi grand qu’elle, et portait une blouse blanche brodée et un pantalon avec un petit chat près de la cheville droite. Bref, l’“outfit” classique pour une fête d’anniversaire ou quelque chose du genre.

La surprise fut telle que tous gardèrent le silence et maintenaient les regards fixés la petite fille.

Elle se mit debout sur la chaise, pensant qu’ainsi on l’écouterait mieux, et demanda :

 « Et les petits ? »

La surprise se fit alors murmure de condamnation : « Quels petits ? De quoi parle cette fillette ? Qui diable a laissé entrer une femme dans cette enceinte sacrée ? Et pire encore, c’est une femme et en plus une fillette ! »

La petite fille descendit de la chaise et, toujours portant son ours en peluche, avec des signes évidents d’obésité — l’ours, bien entendu —, se dirigea vers la porte de sortie en disant :

« Les petits. Ben, les petits du loup et les petits des bergers. Les pitchoun, quoi. Qui pense aux petits ? Avec qui je vais discuter ? Et où on va jouer ? »

Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.

Capitaine insurgé Marcos.

Mexique, octobre 2023

P.S. – Liberté inconditionnelle pour Manuel Gómez Vázquez (pris en otage depuis 2020 par le gouvernement de l’État du Chiapas) et José Díaz Gómez (otage depuis l’année dernière), indigènes bases de soutien zapatistes, prisonniers pour cela, pour être zapatistes. Après ne demandez pas qui a semé ce qui sera récolté.

P.S. – Ouragan OTIS : Centre de collecte pour les peuples originaires de l’État de Guerrero : au domicile  de la Casa de los Pueblos “Samir Flores Soberanes”, située Av. México-Coyoacán 343, colonia Xoco, Alcaldía Benito Juárez, Ciudad de México, C.P. 03330. Dépôts et virements bancaires en soutien à ces peuples et communautés sur le compte numéro 0113643034, IBAN 012540001136430347, code SWIFT BCMRMXMMPYM, de la banque BBVA México, sucursal 1769. Au nom de : “Ciencia Social al Servicio de los Pueblos Originarios” [Science Sociale au Service des PeuplesOriginaires]. Téléphone : +52/5526907936.

 

1-ndt : “je sais que je suis fêlé, fêlé, fêlé”, refrain célèbre du tango Balada para un loco de Astor Piazzolla et Horacio Ferrer.

2 – « la luna rodando por Callao » ibid op.cit.

3-ndt : en référence au dessin animé La Petite Lulu, où la protagoniste était exclue du Club de Toby, composé uniquement de garçons.

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