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Palabra del Ejército Zapatista de Liberación Nacional

Jun262017

PRELUDE: LES HORLOGES, L’APOCALYPSE ET L’HEURE DES CHOSES A PETITE ÉCHELLE

PRELUDE: LES HORLOGES, L’APOCALYPSE ET L’HEURE DES CHOSES A PETITE ÉCHELLE. 

12 avril 2017.

Bon après-midi, bonne nuit, bonjour, bon matin.

Nous voulons remercier les compañeras et compañeros du CIDECI-UniTierra qui, avec leur générosité camarade, nous ont de nouveau confié leur espace pour que nous puissions nous réunir. Et aux équipes de soutien de la commission Sexta qui se sont chargées du transport (nous espérons que vous n’allez pas vous perdre de nouveau), de la sécurité et de la logistique durant cet événement. 

Nous voulons remercier également la participation des personnes qui durant ces journées nous accompagneront avec leurs réflexions et leurs analyses durant ce séminaire, que nous avons appelé «Les murs du Capital, les brèches de la gauche». Merci donc à: 

Don Pablo González Casanova.
María de Jesús Patricio Martínez.
Paulina Fernández C.
Alicia Castellanos.
Magdalena Gómez.
Gilberto López y Rivas.
Luis Hernández Navarro.
Carlos Aguirre Rojas.
Arturo Anguiano.
Christian Chávez.
Carlos González.
Sergio Rodríguez Lascano.
Tom Hansen.

Nous remercions et saluons aussi tout spécialement les médias libres, autonomes, indépendants, alternatifs ou peu importe le nom qu’on leur donne, à elleux et à leur effort pour donner son envol à la parole et que ce qui se réfléchit ici, atteigne d’autres endroits.

Nous, les femmes et les hommes zapatistes, avons décidé d’ouvrir ce séminaire ou cette rencontre qui fait partie de la campagne «Contre les murs d’en haut, les brèches en bas (et à gauche)», pour permettre, de cette manière, que ceux dont le tour de parole suivra puissent se dissocier, critiquer, ou simplement faire les morts ou les mortes, selon.

C’est la raison pour laquelle nous sommes seuls à cette table, juste accompagnés par Don Pablo González Casanova. Et lui, est ici pour plusieurs raisons: l’une d’elles, est qu’il est déjà au-delà du bien et du mal, et, il l’a démontré au fil de ces 23 ans, il ne s’occupe ni ne ne se préoccupe qu’on lui fasse des remontrances pour traîner en mauvaise compagnie. Une autre raison est que, de fait, il dit toujours ce qu’il pense. Lui pourra vous le dire, et il dira la vérité, qu’on ne lui a jamais imposé ni la vision ni le point de vue, raison pour laquelle bien des fois il ne coïncide pas avec notre réflexion, mais est au contraire extrêmement critique. C’est tellement vrai que le nom de code avec lequel on se réfère à lui dans nos communications internes, pour que l’ennemi ne sache pas qu’on parle de lui, c’est «Pablo Contreras». Nous le considérons comme un compañero, un de plus parmi lesquels nous sommes ce que nous sommes et comme nous sommes. C’est une fierté de marcher à ses côtés, de compter sur sa voix critique et, surtout, sur son engagement sans failles ni duplicités.

Notre parole d’aujourd’hui,, nous l’avons préparée avec le sous-commandant insurgé Moisés pour qu’elle soit reliée par un fil, enfin, c’est tout du moins notre prétention.

Je sais bien que nous sommes connus pour manquer de sérieux et pour être extrêmement irresponsables, en plus bien sûr d’être irrévérencieux, butés et ouvertement fouteurs de merde; qu’après, on se met à raconter des histoires, là où ce serait l’occasion d’être solennel et transcendantal et où l’académie exige «l’analyse concrète de la réalité concrète». Au final, que nous sommes des transgresseurs de la responsabilité, des bonnes manières et de l’urbanité civilisée. 

Mais, malgré cela, je vais vous demander de faire preuve de sérieux parce que ce que nous allons dire aujourd’hui va provoquer une avalanche d’attaques et de disqualifications. 

Bon, une supplémentaire, en plus de celle déjà mise en scène par l’hystérie illustrée de la gauche institutionnelle qui, naïve, pense arriver au Pouvoir et quecette fois oui, c’est la bonne, car elle a obtenu précocement ce qui s’annonçait déjà, c’est-à-dire qu’elle s’est convertie en un clone de ce qu’elle prétend combattre, la corruption inclue. Ce progressisme illustré qui a élevé au rang de concepts des sciences sociales des catégories telles que «complot» ou»mafia du pouvoir», et qui prodigue des pardons, des absolutions et des amnisties au moment de s’en réfèrer à ceux d’en haut, et des sentences et des condamnations quand elle s’en réfère à ceux d’en bas. Et oui, il faut bien reconnaître que cette gauche illustrée est d’une malhonnêteté courageuse, parce qu’elle n’a pas peur du ridicule à répétition pour se convaincre elle-même et de convaincre ses ouailles de circonstance que «régénérer» est synonyme de «recycler» quand c’est de la classe politique et patronale qu’il s’agit.

Ce que nous voulons vous dire à cette occasion aujourd’hui est bref, et nous commencerons par l’exprimer dans quelques-unes des langues originaires qui se transforment en paroles au fil de notre chemin:

La parole chol revient à la commandante Amada. 
La parole tojolabal revient à la commandante Everilda.
La parole tzotzil revient à la commandante Jesica
La parole tzeltal revient à la commandante Miriam.
La parole castilla revient à la commandante Dalla.

Ce qu’ont dit les compañeras et les compañeros peut être plus ou moins traduit en espagnol par «Trump vas-te faire foutre», mais je ne vais pas le dire comme ça pour qu’on ne m’accuse pas d’être grossier et prosaïque. On le traduira donc par un laconique: «Fuck trump».

Une fois établi le plus important et le plus sérieux de ce que nous avons à dire durant ce séminaire, ou quel que soit le nom qu’on donne à cette réunion qui a, en réalité, pour objectif principal d’adresser une embrassade collective à Don Pablo Gonzalez Casanova, nous pouvons maintenant passer à ce qui est de moindre importance: notre réflexion. 

LES HORLOGES.

Le temps, toujours le temps. Les horloges. Les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois, les années, les lustres, les décennies, les siècles. Le tic-tac frénétique de la bombe du Capital, le terroriste par excellence, menace aujourd’hui l’humanité entière. Mais aussi le temps devenu calendrier et manière de faire selon chacun, selon la lutte d’en bas et à gauche, la résistance et la rébellion.

Il y a 21 ans, durant ce qu’on désigne comme les Dialogues de San Andrés, désespérée par le fait que le zapatisme devait consulter les villages pour le moindre accord aussi minime qu’il soit, la délégation gouvernementale réprimandait la délégation zapatiste au sujet de ses montres. A quelques mots près, ils les récriminaient avec ces paroles: «Vous, vous parlez beaucoup du temps zapatiste, et vous portez des montres digitales qui marquent la même heure que les nôtres». Les fous-rires des commandants Tacho et Zebedeo ont alors résonné dans la petite pièce où se déroulaient les discussions.

Ce fut cela, la réponse zapatiste au questionnement du gouvernement. A proximité, en tant que membres de la Commission Nationale d’Intermédiation, en étaient entre autres témoins Don Pablo González Casanova et un artiste de la parole, le poète Juan Bañuelos, qui est mort il y a quelques jours et qui, durant un des accompagnements qu’il a fait aux côtés de la délégation durant le trajet dilaté jusqu’à La Realidad zapatiste, défendit aux côtés du lui aussi défunt SupMarcos «Les Vers du Capitaine» de Pablo Neruda, que quelqu’un attaquait comme étant de la «poésie trop politique». «Cela ce n’est pas de la poésie», argumentait le responsable de la diatribe, «c’est un pamphlet».

Le silence s’en est suivi durant le trajet. Juan Bañuelos regardait les montagnes, confectionnant peut-être dans sa tête le poème «Le courrier de la Selva» à l’intérieur duquel, contrairement à ce qui s’est dit, il ne parlait pas de lui-même, mais de celui qui faisait le facteur entre la CONAI et l’EZLN, risquant sa vie, sa liberté et ses biens, en ces temps assombris par la trahison zedilliste de 1995 (un de ses opérateurs, Esteban Moctezuma Barragán, est aujourd’hui un des absous qui s’est vu offrir le poste de dirigeant stratégique de choc du «changement véritable»).

De son côté, je m’imagine que le défunt SupMarcos respirait avec soulagement à la vue du territoire zapatiste et peut-être, dans un murmure prémonitoire, récitait-il les derniers vers de la «Lettre sur le chemin» de Pablo Neruda, le poème qui conclut le livre «Les vers du Capitaine».

  [NdT: Les vers du Capitaine, trad. de l’espagnol (Chili) par André Bonhomme, Claude Couffon et Jean Marcenac, éditions Gallimard, 1984]

«Et ainsi cette lettre se termine
sans aucune tristesse:
mes pieds bien ancrés sur la terre,
ma main écrit cette lettre sur le chemin,
et au milieu de la ville je serais
toujours
aux côtés de l’ami, face à l’ennemi,
avec ton nom à la bouche
et un baiser qui jamais
ne s’est éloigné de la tienne.»

Au sujet du temps (le «timing», comme disent les tanks obèses et paresseux de la pensée d’en haut), ils ont voulu nous critiquer et nous cataloguer. Ils nous ont dit par exemple que, à l’ère digitale, nous, les femmes et les hommes zapatistes, nous sommes comme ces montres qui fonctionnent avec des rotors, des engrenages et des ressorts, et qu’il faut remonter manuellement.

«Anachroniques» ont-ils dit. «Le passé qui revient demander des comptes», ont-ils déclaré. «Le retard historique», ont-ils murmuré. «Ce qui reste à conclurede la modernité», ont-il menacé.

Évidemment, nous sommes à une époque où la réalité virtuelle a bien plus d’avantages que la réalité réelle, et n’importe quel imbécile peut simuler la sagesse grâce au fait que les réseaux sociaux lui permettent de trouver des échos tout aussi stupideset cyniques; une époque où la prétendue originalité de l’antipathie s’annule lorsqu’on se rend compte que l’impertinence, l’ignorance et la pédanterie constituent une «individualité» partagée par des millions denicknames, comme si la stupidité n’était rien d’autre qu’un être solitaire à comptes multiples, et la misogynie de Calderón et de la Calderona, son épouse, ont leur double dans tout l’univers des réseaux sociaux et même chez ceux qui, avec des maîtrises et des doctorats au sein de la gauche bienséante et institutionnelle, se réfèrent à la possible porte-parole du Conseil Indigène de Gouvernement sous le sobriquet sarcastique de «la Tonantzin».

Mais ce qui à droite est un délit juridiquement répréhensible n’est dans la gauche institutionnelle qu’un gracieux commentaire qui ne mérite pas d’être condamné, mais célébré. Même si elle se vêtit de l’habit de l’unique et du non-reproductible et qu’elle dirige le supplément d’un journal de presse, l’imbécillité est la plus commune et la plus courante des caractéristiques humaines du spectre politique d’un en-haut où les différences se diluent même dans les sondages. 

Mais dans cette ère technologique qui nous contemple avec une réprobation moqueuse, nous, les femmes et les hommes zapatistes, nous sommes semblables au sablier.

Un sablier qui, même s’il n’a pas besoin d’être réactualisé toutes les 15 minutes et qui n’a pas besoin d’avoir encore du crédit pour fonctionner, doit quand même renouveler périodiquement son délai limité.

Bien que peu pratique et peu commode, tout comme nous sommes, nous, les femmes et les hommes zapatistes, le sablier a ses avantages.

On peut par exemple y observer le temps écoulé, voir le passé, tenter de le comprendre.

Et on peut voir aussi le temps à venir.

On ne peut pas comprendre le temps zapatiste si on ne comprend pas le regard qui calcule le temps écoulé dans un sablier.

C’est pour cela que nous vous avons amené ici, pour cette seule et unique fois, madame, monsieur, autrE, petite fille, petit garçon, ce sablier dont le modèle a été baptisé du nom de: «Tu n’as rien compris, John Snow».

Regardez-le vous-mêmes, appréciez la perfection de ses lignes incurvées qui rappellent que le monde n’est pas rond mais que pourtant il bouge, se renverse et, comme le disait Mercedes Sosa à son époque: «il change, tout change».

Regardez-les vous-mêmes, et comprenez que vous ne nous comprenez pas, mais que ce n’est pas important; que, comme on dit souvent, il n’y a pas de malaise, parce que ce n’est pas en direction de notre manière archaïque (qui, plutôt que prémoderne, est préhistorique). Ce n’est pas dans cette direction que nous vous demandons de regarder, non. C’est vers au-delà que nous avons besoin de votre vigilance.

Parce que nous comprenons qu’à vous, ils vous demandent de porter attention à ce bref instant durant lequel un grain de sable arrive au niveau du passage étroit où il tombe et se joint aux instants qui s’accumulent dans ce que nous appelons «passé».

Parce que c’est cela qu’ils vous insinuent, qu’ils vous conseillent, qu’ils vous demandent, qu’ils vous ordonnent, qu’ils obligent: vit l’instant, vit ce présent qui peut être réduit encore plus grâce à la technologie la plus élevée et la plus sophistiquée. Ne penses pas au temps qui gît déjà dans l’hier, parce que dans le vertige de la modernité, «il y a une seconde» revient au même qu'»il y a un siècle».

Mais, surtout, ne contemplez pas ce qui vient après.

Et nous évidemment, à rebrousse-poil, juste pour en aller en sens contraire, en bonne tête de mule quoi (sans déranger personne en particulier, chacun suivant ce qui lui correspond), en train d’analyser et de questionner le petit grain de sable qui se trouve, anonyme, au milieu de tous les autres, attendant son tour pour s’enfiler dans l’angoissant tunnel. Tout en regardant en même temps celui qui gît en bas et à gauche dans ce qu’on appelle le «passé», se demandant bien ce qu’ils ont à voir l’un et l’autre avec cette discussion sur les murs du Capital et les brèches d’en bas.

Et nous, femmes et hommes, avec un oeil sur le chat et un autre sur la chose, c’est-à-dire sur le chien, ce qui transforme le «chat-chien» en outil d’analyse de la réflexion critique et le fait cesser d’être la compagnie constante d’une petite fille qui s’imagine sans peur, libre, compañera.

Mais ce n’est pas le zapatisme que nous vous invitons à essayer de comprendre ou d’expliquer. Même si, évidemment, si vous vous souhaitez réitérer votre maladresse, votre limitation et votre dogmatisme anti- ou pro-, et bien qui sommes-nous donc pour vous en empêcher.

Et donc on vous dit que non, qu’on ne vaut pas la peine, que le zapatisme n’est qu’une lutte de plus parmi bien d’autres. Voir même la plus petite en terme de nombre, d’impact, de transcendance.

Même si, c’est vrai, peut-être la plus irrévérente si on la compare à l’ennemi qu’elle s’est donné, à son objectif, son horizon, sa détermination têtue à construire un monde où puissent tenir de nombreux mondes, tous, ceux qui existent et ceux qui naîtront. 

Et tout cela pendant que, avec une obstination absurde, nous tournons et retournons le sablier, comme si on voulait vous dire, nous dire, que ceci est la lutte: quelque chose où il n’y a pas de repos, où on doit résister et ne pas ouvrir les portes de la prudente lâcheté qui, accompagnées du panneau «SORTIE», apparaissent tout au long du chemin. 

La lutte est quelque chose où il faut être attentif au tout et à toutes les parties, et être prêtes, prêts, parce que ce dernier grain de sable n’est pas le dernier, mais le premier, et il faut renverser le sablier, parce qu’ici, ce n’est pas l’aujourd’hui, mais l’hier et, oui, vous avez raison, aussi le jour de demain. 

Et voilà, vous connaissez le secret de la méthode zapatiste pour l’analyse et la réflexion: nous n’utilisons même pas une montre mécanique à remontage manuel, mais un sablier. 

Bien sûr, ça se comprend, que peut-on attendre de ceux qui maintenant soutiennent qu’à cette époque, en plus de la logique de l’argent, c’est la sainte mère de Donald Trump qui est mondialisée parce que sur toute la planète on s’en souvient et on la mentionne, c’est-à-dire qu’on la traite de tous les noms. 

Ou peut-être que nous utilisons un sablier parce que nos efforts pour comprendre ne vient pas d’un intérêt académique, scientifique ou descriptif, ou d’unprétentieux et stupide tribunal qui pense tout savoir et peut donner son opinion sur tout, parce qu’il est notoire – et les réseaux sociaux le confirment:n’importe quelle bêtise trouve des adeptes, et c’est ainsi que prennent forme les troupeaux autour du berger qui, à son tour, fait partie du troupeau d’un autre berger et ainsi de suite.

Non, notre intérêt est subversif. Nous combattons l’ennemi. Nous voulons savoir comment il est, quelle est sa généalogie, son modus operandi pourrions-nous dire, suivant en cela Elias Contreras, un défunt membre de la commission d’enquêtes de l’EZLN qui affirmait que le capitalisme était un criminel et que dans le monde la réalité entière était la scène du crime, et qu’en ce sens elle devrait être étudiée et analysée. 

Et maintenant j’en viens à penser que les pistes laissées par Elías Contreras, celles laissées par le défunt SupMarcos, celles que nous, femmes, hommes, zapatistes, nous vous laissons, madame, monsieur, et autres, fille, garçon, jeunes, bien qu’elles ne soient pas dans le calendrier mais si, dans le regard, elles sont, toutes, des signes pour suivre un chemin. 

Et le truc, l’astuce comme dit le SubMoy, la «magie» comme disait le SupMarcos, est dans le fait que ces pistes ne sont pas là pour que vous nous trouviez, nous découvriez, nous attrapiez. Elles sont, selon cette note que j’ai trouvé dans le coffre des souvenirs du SupMarcos et que maintenant je relis déconcerté, pas seulement pour que vous trouviez le miroir, mais pour que vous alliez construire la réponse, votre propre réponse à vous, à la question apocalyptique qui vous giflera au visage, peu importe votre couleur, votre genre ou transgenre, votre croyance ou dé-croyance, vos affiliations et phobies politiques et idéologiques, votre façon de vivre, votre temps, votre géographie. 

La question qui annonce l’apocalypse la plus terrible et merveilleuse : Et toi quoi? 

L’apocalypse qui, selon ce que raconte la fille qui s’auto-prénomme Défense Zapatiste, est genrée. «C’est la faute de ces enfoirés de mecs», tranche chaque fois qu’elle peut cette fille qui rêve de compléter son équipe de football, que ce soit ou non le propos,. 

«Tout est déjà réglé, même si le ballon, il est un peu bosselé, comme si ‘ils lui avaient donné un coup sur sa tête et qu»elle est pleine de bosses», me répond la fille à une question qui ne m’a même pas traversé l’esprit. 

«Et bien sûr, il faut compléter l’équipe, mais ne t’inquiète pas Sup, on va être plus nombreux, peut-être que ça prend du temps, mais on va être plus», me dit-elle en essayant de me tranquilliser pendant que dans le Caracol, nous attendons, inquiets, qu’ils trouvent l’équipe de soutien qui est perdue. 

Le Sous-commandant Insurgé Moisés murmure «‘tain, je crois que nous devons faire une équipe de soutien pour l’équipe de soutien, parce qu’il leur arrive toujours quelque chose», alors que Défense zapatiste essaye de me convaincre de chercher parmi vous des prospecteurs pour gambader derrière un ballon déformé à travers un pré aujourd’hui rempli de tiques voire d’un ou deux serpents nauyaca, et reluisant depuis quelques jours à peine de l’eau dégorgeantd’une pluie à laquelle, à n’en pas douter, il manque une montre parce qu’elle n’avait rien à faire là en ce mois d’avril. . 

Les indications que je reçois de la fille sont loin d’être simples. L’équipe n’a pas besoin d’un gardien, position occupée, je le sais, par un vieux cheval borgne qui se distingue des autres par le fait qu’il n’a pas d’attache, ni de marque, ni de quelconque propriétaire, et qu’il mastique, insouciant, une bouteille en plastique vide sur laquelle ne se distingue plus la marque de la célèbre boisson coca.

La position de défenseur, c’est évident, est aussi déjà prise. Et l’équipe a un arrière droit qui a plutôt l’air d’un chat… ou d’un chien, qui, bon, c’est par làque se trouve la souris de l’ordi du SubMoy, et là le Monarque le poursuit en criant « sale chien ! », et l’insurgée Erika précise que ce n’est pas un chien, et le Monarque «un cha alors». «Non plus», dit Erika qui veut seulement s’assurer que le chat-chien s’échappe indemne, ce qu’elle réussit.

Fait aussi partie de la composition toujours incomplète le fameux Pedrito, qui, selon ce que je comprends du schéma que Défense zapatiste déploie devant moi, est une espèce de libero multi-positions. « C’est que Pedrito il obéit quand ça lui chante », , me précise-t-elle, «un jour il veut être gardien, un autre jour attaquant, en défense qu’il y pense même pas», prévient la fille. Avant d’ajouter: «mais c’est comme ça qu’ils sont ces foutus mecs, un jour ilsdisent un truc et le jour d’après va voir ailleurs», en me regardant les yeux entrouverts, avec sa meilleure tête de «Fuck Trump et pousse-toi dans un coinque je ne t’éclabousse pas ou à toi de voir si toi aussi t’es concerné». 

Avant de partir, Défense zapatiste me résume : «Hé Sup, pas n’importe qui ein, il faut de la discipline et de la lutte, parce que sinon ensuite ils s’évanouissent rapidement et dans l’équipe, que de la résistance et de la rébellion». Je n’ai pas voulu la décevoir, mais le simple réquisit de la discipline laisse de côté toutes les équipes de soutien et tous, toutes, tout-e-s les personnes présentes, à commencer, bien sûr, par Pablo Contreras ici présent. 

Pour le défunt SupMarcos, selon ce dont je me rendrai compte après sa mort en retrouvant ses lettres, l’apocalypse, ce n’est pas le miroir, ni la question, mais la réponse. «Là» a-t-il écrit de son écriture maladroite d’enfant mal appliqué et disqualifié chronique en caligraphie, «C’est là que le monde se termine… ou commence». 

Je reviendrai à une autre occasion sur ces feuilles tachées d’humidité et de tabac que, avec d’autres et dans un coffre en toile abîmée et déchirée, le SupMarcos m’a remises peu de temps avant sa mort, avec une sentence laconique: «tu verras bien». 

Cette même phrase, il me l’a répétée quand il descendait de l’estrade à La Realidad, le sang de mon frère mort, le maître Galeano, encore chaud sur la terre; quand, comme une prémonition de ce qui viendrait après, l’unique lumière était celle de la pluie brisant la logique de ce mois de mai que les calendriers avaient déjà rendus caducs. 

Non, je ne parlerai pas de cet écrit. Ou pas encore. Non plus de celui que je viens de trouver et qui, provocateur, porte ce bref intitulé: «De comment Durito a décidé d’embrasser la noble profession de la Cavalerie itinérante et s’est donné comme but de parcourir le monde en défiant les injustices, secourant le démuni, sauvant l’opprimé, soutenant le faible et arrachant des soupirs lascifs aux prudes demoiselles, ainsi que des essoufflements d’envie chez les machines. Rapports, devis sans engagement et embauches: Hojita de Huapac #69».

Oui, je suis d’accord avec vous, c’est un titre aussi modeste que son protagoniste. 

Mais je ne vous le lirai pas maintenant, et pas parce que je ne veux pas écouter les sourires que vous arracheraient cette histoire, écrite de la main du défunt avec pour seule précision de lieu et de date lisibles: «Campement Watapil, Sierra del Almendro, avril 1986», c’est-à-dire il y a de cela environ 30 ans.Mais pour le moment ce n’est pas pertinent. 

Bien sûr, vous êtes en train de vous mettre en colère parce que, pensez-vous, pourquoi je vous fais désirer cela si ni-maïs-ni pop corn-ni oranges-pourries–ni jus de fruits-ni-gâteau, si maintenant je ne vais pas vous lire cette histoire au titre si bref et si explicatif, mais laissez-moi vous dire que ces papiers trouvés dans la malle du SupMarcos m’ont rappelé quelque chose qui s’est passé quand, sur la montre de La Realidad, l’heure de sa mort n’était pas encore advenue:

Le SupMoy et le maintenant défunt SupMarcos sont revenus de la réunion avec le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène – Commandement Général de l’EZLN, célébrée dans une des salles du caracol de La Realidad, et ils m’ont fait appeler. 

J’ai compris que, sur les deux montres que le maintenant défunt Sup portait depuis le premier janvier 1994, l’heure était venue. Parce que je savais que sa mort avait déjà été décidée, mais pas quand. Le fait qu’ils me convoquent ne pouvait signifier qu’une seule chose: le décès était imminent, et lui me donnerait les dernières instructions avant ma naissance. 

Le SupMoy a dû se retirer et je suis resté seul avec le SupMarcos.

Il m’a remis une petite mallette en toile, vieille et mal recousue, sans rien me dire de plus. 

J’ai demandé ce que j’allais faire avec ça et il m’a seulement répondu que je saurai quoi faire le moment venu. J’ai acquiescé en silence. 

Puis, il m’a donné les indications de l’emplacement d’une boite aux lettres de la montagne où, m’a-t-il dit, il gardait différents livres.

Maintenant ils me reviennent en mémoire: les anthologies poétiques de León Felipe et Miguel Hernández, le Romancero gitan de García Lorca, les deux tomes du Don Quichotte, «Les vers du capitaine» de Pablo Neruda, une édition bilingue de sonnets de William Shakespeare, «Cronopes et fameux» de Julio Cortázar, et d’autres dont je ne me souviens pas pour le moment. 

Cela m’a fait bizarre que, dans sa dernière volonté, il y eu de la place dans ses pensées pour recommander le sauvetage de quelques livres qui, très probablement, seraient déjà réduits en miettes par l’humidité et les fourmis rouges. 

J’ai dû fait un geste quelconque, parce qu’il s’est senti obligé d’expliquer: «Il n’y a pas de solitude plus désespérante qu’un livre que personne ne lit». 

Je n’ai rien dit, j’ai seulement écrit en code les données de la boite postale. 

Ensuite, il m’a demandé comme c’était son genre au moment des indications finales: «Des doutes, des questions, des angoisses, des désaccords, des insultes en chocolat ou de l’autre sorte ?». 

Je suis resté pensif. 

«J’ai une question» lui ai-je dit. Pas parce que j’en avais une mais pour me donner du temps, et pouvoir penser à quelque chose. 

Il a gardé le silence. 

Et je ne sais pas pourquoi, je l’ai interrogé sur Durito. 

Oui, je sais, j’aurais dû lui demander autre chose, les raisons de sa mort par exemple, ou la toujours pressante question «et maintenant?». Mais non, je l’ai interrogé sur Durito. 

Pourquoi as-tu choisi comme personnage un insecte? Le truc du Vieil Antonio, je comprends,pareil avec les garçons et les filles, mais un insecte? Et pire, un scarabée! Les scarabées qu’il y a par ici sont ceux qui font leur nid avec de la bouse et ils y élèvent leurs petits. 

Il alluma sa pipe et répondit entre des bouffées de fumée:

«D’abord, comme tu t’en rendras compte dans quelques minutes, ce ne sont pas eux les personnages, mais moi. Et en ce qui concerne Don Durito, et bien c’est le petit, le faible et l’insignifiant qui se soulève, se rebelle et défie tout, y compris sa destinée imposée». 

«En ce qui concerne la bouse, les scarabées ne sont pas les seuls qui sur ces terres travaillent avec la bouse et l’utilisent y compris pour leurs maisons. Les indigènes aussi. Bon, ça, c’était avant notre soulèvement». 

Oui, nous avons parlé d’autres choses, mais pas parce que c’était un interrogatoire, mais parce que le début des funérailles prenait du retard et que le SupMarcos faisait toujours de la sorte: pendant qu’il pensait à quelque chose, il se mettait à discuter de n’importe quoi ou de ce qu’on lui demandait, comme s’il avait besoin d’occuper son esprit de plusieurs choses à la fois pour pouvoir en même temps résoudre la principale. 

De ces autres choses, je ne sais pas, peut-être, c’est un suppositoire, je vous les raconterai à une autre occasion. Ou non, va savoir.

Mais le lien entre le scarabée et les indigènes zapatistes, peut-être que vous le comprendrez mieux dans les histoires qui vont suivre à travers la voix duSupMoy. 

Je passe donc la parole à notre chef et porte-parole, le Sous-commandant insurgé Moisés, qui revient récemment du plus profond de la jungle lacandone, où il est parti pour nous expliquer pourquoi le monde capitaliste ressemble à un grand domaine fortifié. 

Merci beaucoup. 

SupGaleano. 
Mexique, avril 2017. 

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