Juillet – Août – Septembre 2016.
A qui de droit:
Sujet: Invitation au festival «pARTage et conSCI
Oui, nous le savons. Des jours et des nuits durant lesquels l’amertume parait être le seul horizon. Les pas traînant de douleur, de rage, d‘
Et malgré cela, ou précisément à cause de cela, nous vous envoyons cette invitation.
UNE MAISON, D’AUTRES MONDES.
Plus qu’une histoire, ce pourrait être une légende. C’est–à–dire qu’il n’y a aucun moyen de confirmer la véracité de ce qui est narré ici. En partie parce que ni les calendriers, ni les géographiesne sont précisées, c’est à dire que ça aurait pu se dérouler ou non dans n’importe quel endroit et à un moment non défini; mais aussi parce que le soi-disant anti-héros de cette narration est mort, fini, décédé, défunt. S‘il était vivant, il suffirait de lui demander s‘il a dit ce qui se dit ici qu’il a dit. Certes, il est très probable que lui, obstiné à tourner autour du pot, s’étendrait sur la description de ce calendrier imprécis.
Donc nous n’avons pas la date précise, nous vous devons toujours le calendrier et nous dirons seulement que c’était approximativement il y a déjà plus de deux décennies. La géographie? Les montagnes du sud-est mexicain.
C’est le Commandant Tacho qui nous l’a racontée, cette nuit-là où, à l’intérieur d’une paillote, on décrivait la maison du système, la maison du capital, l’orage, l’arche. La paillote dans laquelleest née ce qui ensuite allait être le semillero [note à mettre: «la pépinière», nom parfois donné par les zapatistes au séminaire «la pensée critique contre l’hydre capitaliste», organisé durant une semaine en mai 2015 à San Cristobal de Las Casas à l’invitation de l’EZLN Voir les communiqués… . On pense qu’
C’est le commandant Tacho qui parle:
«Je me rappelle pas bien quand, mais c’était quand le défunt Sup n’était pas encore défunt. Le Sup était comme d’habitude en train de veiller tard et de fumer sa pipe. Oui, il mordillait sa pipe, comme d’habitude. Nous étions dans la paillote du soi-disant command
Bon, mais donc on en était là. Donc lui, il a demandé au Sup…
«Chaque fois qu’on construisait une paillote, le défunt SupMarcos arrivait et restait à regarder les poutres et les traverses. Et il demandait toujours : «Cette traverse que t’es en train de mettre là, tu la mets parce que la maison en a besoin?» Donc moi je lui répondais : «Oui, parce que si on la met pas, ben après le toit il tombe». «Ah, bon», disait le Sup, «mais, comment tu le sais que, se si tu la mets pas, le toit tombe?». Moi je le regardais sans rien dire parce que je savais que ce n’était pas le sujet du problème. C’était pas la première fois qu‘il posait la question. Donc lui il continuait: «Oui, tu la mets parce que tu le sais scientifiquement que si tu la mets pas, il tombe, ou tu la mets par us et coutumes?» Moi je lui disait : «par us et coutumes, enfin c’est comme ça qu’on m’a enseigné. Mon papa c’est comme ça qu’il faisait les maisons et lui l’avait appris de mon grand-père et comme ça jusqu’à très loin.» Le Sup n’était pas satisfait, et il finissait toujours par monter sur la poutre centrale, alors que les renforts n’étaient pas encore très solides, et, en se balançant comme s’il montait à cheval, il demandait: «donc si moi je grimpe là, la poutre va tomber?» Et vlan, tu peux être sûr qu’il tombait. Il disait juste «Aïe!» et là au sol, il sortait sa pipe, il l’allumait et couché comme ça il regardait vers le toit, la tête appuyée sur la poutre cassée qui était par terre. Ba bien sûr que tous on rigolait.
Donc c’est pour ça que lui il a demandé au Sup pourquoi il demandait toujours ça, si us et coutumes ou méthode scientifique. Parce que ça ne s’est pas passé comme ça qu’une seule fois. A chaque fois que le commandement déménageait et que c’était à moi de diriger la construction de la nouvelle paillote, ça se passait comme ça. Le Sup arrivait, il demandait, je lui répondais, il n’était pas satisfait, il grimpait sur la poutre, elle se cassait, et par terre.
(note : en le commentant entre nous, on en a conclu que le calendrier approximatif de ce que raconte Tacho c’est les premiers mois de 1995, durant la persécution gouvernementale contre nous, ce qui correspond à quand le commandement déménageait continuellement, accompagnant le village de Guadalupe Tepeyac dans l’exil. Fin de la note et retour aux paroles deTacho) :
Donc c’est pour que vous compreniez pour lui il lui a demandé ça au Sup. D’autres fois, je lui avais moi-même demandé, mais il ne répondait jamais vraiment. Pas parce qu’il ne voulait pas, mais parce qu’on l’appelait toujours à la radio à ce moment-là, ou parce que quelqu’un d’autre arrivait. Donc moi aussi, je voulais savoir la réponse.
Le Sup a enlevé la pipe de sa bouche et il l’a mise de côté. Nous étions assis par terre, comme on dit. Il faisait très chaud, comme à chaque fois qu’une pluie forte va arriver. Moi j’avais compris qu’il allait dilater la réponse. Parce que quand il répondait vite fait, le Sup n’enlevait même pas sa pipe. C’est-à-dire qu’il parlait comme s’il mordait les mots et elles sortaient comme si elles étaient machées et aboyées.
Donc le Sup a dit… bon, il m’a plutôt demandé:
«Ey Tacho, combien mesure cette paillote?»
«3 mètres sur 4″, je lui ai répondu rapidement parce que ce n’était évidemment pas la première fois qu’on faisait ça.
«Et si elle était de 6 mètres sur 8, elle aurait plus de traverses de renfort?», il m’a demandé.
«Evidemment», je lui ai répondu.
«Et si elle faisait 12 mètres sur16?»
J‘ai pas répondu vite, donc le Sup a continué :
«Et si elle faisait 24 mètres sur 32? et si 48 mètres sur 64? et si 96 mètres sur 128?»
Là oui, je vous dit la pure vérité, ben j’ai ri.
«Elle est très grande cette maison, je sais pas», je lui ai dit.
«Correct», a-t-il dit lui, «on construit les maisons se font selon l’expérience qu’on a ou qu’on hérite. Us et coutumes, donc. Quand il faut faire une maison plus grande, ben on demande ou on essaye»
Mais, disons que personne n’a jamais fait une maison de 192 par 256…
J’ai ri juste avant que le Sup ne complète :
«… kilomètres»
«Arg, et qui veut une maison aussi grande?, je lui ai dit en riant.
Lui il a allumé la allumé la pipe et ensuite il a dit : «Bon, plus facile, et si la maison faisait la taille du monde?»
Non, ben c’est chaud. Je crois qu’on peut pas imaginer une maison aussi grande, et d’ailleurs pour quoi faire«, je lui ai dit, déjà un peu plus sérieux.
C’est possible. Les arts peuvent imaginer cette maison, et la mettre en mots, en sons, en images, en figures. Les arts imaginent ce qui parait impossible et, en l’imaginant, ils sèment le doute, la curiosité, la surprise, l’admiration, c’est-à-dire qu’ils le rendent possible.
«Ah, bon» je lui ai dit, «mais imaginer c’est une chose, et faire c‘en est une autre. Je crois qu’on ne peut pas faire une maison qui soit aussi grande».
«On peut«, a-t-il dit, et il a mis de côté la pipe cassée.
Car les sciences savent comment. Bien que jamais une maison de la taille du monde n’ait été construite, les sciences peuvent dire, avec certitude, comment serait une construction comme celle-ci. Je ne sais pas comment on l’appelle, mais je crois que ça à voir avec la résistance des matériaux, la géométrie, les mathématiques, la physique, la géographie, la biologie, la chimie et je sais pas combien d’autres trucs du genre. Mais, même si on a pas eu d’expérience antérieure, c’est-à-dire sans us ni coutumes, et bien la science peut dire combien de poutres, de renforts et de traverses il faut pour faire une maison de la taille du monde. Avec la connaissance scientifique, on peut dire quelle profondeur pour les fondations, quelle hauteur et quelle largeur pour les murs, quelle inclinaison doit avoir le toit s’il est à deux pentes, de quel côté doivent être les fenêtres selon le froid ou la chaleur, où doivent être les portes et combien doit-il y en avoir, de quel matériel chaque partie doit être faite, et combien elle doit avoir de poutres et de renforts, et où ils doivent être.
Le défunt était-il déjà en train de penser à la transgression de la loi de la gravité et de toutes les lignes droites qui y sont attachées? Imaginait-il ou connaissait-il déjà la subversion du cinquième postulat d’Euclides? Non, Tacho ne le lui a pas demandé. Et, pour dire vrai, nous deux non plus, nous ne lui aurions pas demandé. Il semblet difficile qu‘en ces jours sans lendemain, avec les engins aériens et leurs artillerie faisant trembler ciel et terre, il y ait le temps de penser à l’art, et encore moins aux sciences.
Tous avaient garder le silence, se rappelle Tacho. Nous aussi. Après un moment de silence et du tabac, il a continué :
Le Sup a repris sa pipe et il a vu avec chagrin que le tabac était terminé. Il a cherché dans ses poches. Il a sourit et a sorti un petit sac en plastique contenant un peu de brins d’herbes noirs. Il a tardé à allumer sa pipe, je crois que c’est parce que le tabac était humide. Ensuite, il a continué:
Mais ça ne m’intéresse pas de savoir si les arts peuvent imaginer cette maison, les couleurs qui l’habilleront, ses formes, ses sons, où sera le jour, où sera la nuit, où sera la pluie, où sera le vent, où sera la terre.
Ça ne m’intéresse pas non plus de savoir si la science peut résoudre comment elle peut devenir réalité. De fait elle le peut. Elle en a les connaissances… ou elle va les avoir.
Ce qui m’intéresse, c’est que cette maison, que ce monde, ne soit pas identique à celui-ci. Que la maison soit mieux, encore plus grande. Qu’elle soit si grande qu’en elle il n’y ait pas de la place pour un, mais pour beaucoup de mondes, tous, ceux qui sont déjà, ceux qui vont naître encore .
Bien sûr, il faudra rencontrer ceux qui font des arts et des sciences. Ça ne va pas être facile. Au début ils ne vont pas vouloir, non pas par hostilité, mais par méfiance. Parce que nous avons beaucoup d’opposition. Parce que nous sommes ce que nous sommes.
Ceux qui sont artistes croient que nous allons fixer un thème, une forme et un temps pour leur savoir-faire; que dans leur horizon artistique il ne devra y avoir que des mâles et des femelles (jamais d’autrEs), du puissant prolétariat exhibant ses muscles et ses regards lumineux en images, sons, en danses et en figures ; qu’ils n’insinuent même pas l’existence de ce qui est autre; que s’ils réussissent, ce sera des chants et des louanges, et que s’ils ne réussissent pas, l’enfermement physique ou le rejet. En d’autres mots, que nous allons leur ordonner de ne pasimaginer.
Ceux qui font des sciences croient que nous allons leur demander qu’ils conçoivent des armes mécaniques, électroniques, chimiques, biologiques, interstellaires, de destruction massive ou individuelle; que nous allons les obliger à former des collèges pour surdoués mentaux dans lesquels, bien sûr, seront placés les descendants des dirigeants avec une place réservée avant même qu’ils ne soient conçus; qu’on reconnaîtra la filiation politique et non la capacité scientifique; que s’ils réussissent, des chants et des louanges; que s’ils ne réussissent pas, le rejet ou l’enfermement physique. C’est-à-dire qu’on va leur demander de ne pas faire de science.
Et, de plus, comme nous sommes des peuples originaires, certain-e-s pensent que ce qu’illes font, c’est de l’art et de la culture, et que ce que nous faisons nous, c’est de l’artisanat et des rituels, que ce qui chez eux chez elleux, est de l’analyse et de la connaissance, chez nous c’est de la croyance et de la superstition. Ils ignorent que nous, nous peignons des couleurs qui, des centaines d’années plus tard, défient encore les calendriers, que quand dans la «civilisation» ils croyaient encore que la terre était le centre et le nombril de l’univers, nous, nous avions déjà découvert des astres et des nombres. Ils croient que nous aimons l’ignorance, que notre pensée est simple et conformiste, que nous préférons croire au lieu de connaître. Que nous, nous ne voulons pas le progrès, mais la régression.
C’est-à-dire que, comme on dit, ils se regardent pas plus qu’ils nous regardent.
Le problème donc va être de les convaincre qu’ils se regardent comme nous les regardons. Qu’ils se rendent compte que, pour nous, ils sont se qu’ils sont et quelque chose de plus: un espoir.
Et les espoirs, amis et ennemis, on ne les achètent pas, on ne les vend pas, on ne les obligent pas, on ne les enferment pas, on ne les tuent pas.
Il s’est tu. J’ai attendu de voir s’il allait demander autre chose au Sup, mais il n’a rien dit, alors je lui ai demandé: «et donc nous, qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse?» Le Sup s’est contenté de soupirer et de dire:
Nous avant tout, il faut qu’on sache que cette maison est possible est possible et nécessaire. Et ensuite, et bien le plus facile: il faut qu’on la construise. Et pour cela nous avons besoin du savoir, de la perception, de l’imagination, nous avons besoin des sciences et des arts. Nous avons besoin d’autres coeurs.
Le jour arrivera où nous rencontrerons ceux qui font des sciences et des arts. Ce jour-là nous les embrasserons et, en signe de bienvenue, nous les recevrons avec pour seule question: «Et toi alors?» [«Y tu que?«]
Et alors moi comme on dit, je ne ne me sentais pas satisfait et donc j’ai demandé au Sup: «et après les avoir rencontré ces gens, on va faire quoi?» Le Sup a sourit et dit:
Ecétera.
-*-
C’est là que se termine l’histoire ou la légende que nous a raconté le commandant Tacho à l’aurore.
Et tout cela vient à point, ou à pointe, c’est selon, parce que nous voulons vous inviter, vous, pour que vous veniez ou bien, d’une forme ou d’une autre, vous manifestiez votre présence sur cette terre que nous sommes.
Et c’est que, comme on dit, nous avons cette curiosité que nous portons sur les épaules depuis de nombreux calendriers, et nous pensons que peut-être vous, vous accepteriez l’invitation et nous aideriez à résoudre un doute:
De quoi a-t-on besoin pour construire une nouvelle maison, tellement grande qu’en elle puissent tenir non pas un, mais de nombreux mondes?
C’est tout, ou pas, cela dépend de vous.
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.
Au nom des enfants, anciens, femmes et hommes zapatistes.
Sous-commandant insurgé Moisés. Sous-commandant insurgé Galeano.
Mexique, juillet-août-septembre 2016.
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Au Brésil, nous avons des villages indigènes, quilombos sont des lieux de résistance où l’art et la science dans l’unité commune relient l’ascendance avec le futurisme. Je pense que nous avons beaucoup d’identité avec les Zapatistes.
Comentario de elenara lelex — octubre 11, 2016 @ 2:48 am
Me transmitió la invitación a construir una casa común, el hogar del mundo, para nosotros, las personas. Los que están en la parte inferior izquierda. Y como me transmitió todos sus comunicados. Debido a que sus palabras me tocan y me permiten mi red cada vez más lejos, hasta los días de desaliento, como en este momento. Gracias a usted desde las profundidades de la campiña francesa. Me pierdo en las profundidades de los 500 años de la noche. Mirando hacia adelante, siempre lea a usted; Jo
Aquí está mi entrada en el blog incluyendo su invitación = https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/10/11/nous-avant-tout/
Comentario de JBL1960 — octubre 11, 2016 @ 4:04 pm
En Brasil, tenemos pueblos indígenas, los quilombos son lugares de resistencia donde el arte y la ciencia en la unidad común conectan ascendencia con el futurismo. Creo que tenemos mucha identidad con los zapatistas.
Comentario de puré vegetal — noviembre 7, 2017 @ 4:11 am