EUX ET NOUS
VII. Les plus petit•e•s (IV)
4. Les compañeras : accepter la charge
Février 2013.
Il n’y a rien de plus subversif et irrévérencieux qu’un groupe
de femmes d’en bas disant, se disant : « nous ».
Don Durito de La Lacandona
Note : Voici d’autres extraits du partage des compañeras zapatistes, mais à présent de leurs tâches et problèmes actuels dans leurs charges de direction, d’administration de la justice et de maniement des ressources, ainsi que quelques réflexions sur l’épineuse question de « l’équité de genre » dans la construction d’un monde qui se propose inclusif et tolérant, un monde où « personne ne vaut plus, personne ne vaut moins ».
*
(…)
Oui, on a réglé des cas de ce genre. Il nous est arrivé un cas — je vais intervenir sur ce que la compañera a commenté — qu’en une occasion, quand nous entrions à peine toutes les deux dans les responsabilités, nous avons fait le regroupement en tant que Conseil et on nous a laissées toutes les deux à la tête d’une équipe ; et il nous est arrivé un problème, une compañera est venue se plaindre auprès de nous que son mari la maltraitait. C’est incroyable, et ça a été bien moche pour nous, la compañera disait :
— Je veux la séparation d’avec mon époux.
Mais cet aujourd’hui ex-compa avait deux épouses. Nous avons étudié le cas. Nous avons appelé les enfants de la première épouse et de la seconde, et là, nous avons commencé à entrevoir l’arrangement. C’est pour ça que ça a pris un peu de temps, nous avons vu à quel point ce monsieur était un salaud :
— Et qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Nous pensions qu’il l’avait seulement frappée. Eh bien non, ce fumier avait attaché la compañera par les pieds, la tête en bas, et c’est là qu’il l’a frappée, en présence de deux de ses enfants. Alors nous avons dû trouver cet arrangement. Quelle solution nous avons donnée ? La compañera demandait la séparation, et c’est ce que nous avons fait en répartissant, les biens sont passés à la première épouse et à ses enfants parce que ce monsieur violait ses droits, mais nous ne pouvions pas laisser sans rien la seconde épouse, parce qu’elle avait aussi un enfant déjà grand, alors nous n’avons pas laissé une partie à ce monsieur, nous l’avons laissée à son fils, comme ça c’était clair. Nous avons réparti tous ses biens, c’est la solution que nous avons trouvée, nous avons donné son droit à cette compañera qui était venue se plaindre auprès de nous.
(…)
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Yolanda : Nous allons continuer avec ce que je dois dire, un peu sur la loi. On sait bien que cette loi a été faite justement à cause de la situation que vivaient les compañeras. C’est pour ça qu’on a démarré cette loi, parce que avant les souffrances étaient graves, comme nous l’avons entendu, et je ne vais pas le répéter. Cette loi, nous l’avons par écrit, et dans les cinq Caracoles.
(…)
Mais nous voyons qu’il est très important que nous étudiions bien ce qu’est la loi, parce que, si nous ne comprenons pas vraiment ce qu’elle nous dit, nous avons analysé un peu et dans cette zone il pourrait surgir la même chose que l’histoire déjà passée ; la femme, c’est elle qui donne la vie et alors après, ça a changé comme nous l’avons entendu. Si nous comprenons mal cette loi que nous avons en tant que zapatistes, ça peut se passer à nouveau.
Quand cette loi a été faite ce n’est pas pour que les femmes puissent commander, ce n’est pas pour que les femmes dominent leurs époux, leurs compañeros, ce n’est pas ça que ça veut dire. Mais il faut étudier cette loi de très près, parce ce qu’il ne s’agit pas de construire l’histoire à l’envers, celle qui a amené les compañeros machistes à commander. Si nous interprétons mal cette loi, c’est ce qui va se passer, ce seront les compañeras qui commanderont, et les compañeros, les pauvres, ils se retrouveront balancés à leur tour, mais ce n’est pas ça qu’on veut.
C’est comme une construction d’humanité, ce qu’on veut. C’est ce que nous sommes en train d’essayer de changer, c’est un autre monde qu’on veut. C’est comme une lutte de tout ce que nous faisons, hommes et femmes, parce que, comme nous l’avons entendu, ce n’est pas une lutte de femmes ou une lutte d’hommes. Quand on veut parler comme ça de révolution, c’est que tout le monde va ensemble, c’est l’affaire de tous, hommes et femmes, c’est comme ça que se fait la lutte.
Ce n’est pas possible que les compañeros disent nous sommes en train de lutter, nous sommes en train de faire la révolution, et que seuls les compañeros assument toutes les responsabilités, et les compañeras, ici, à la maison. Ça, ce n’est pas une lutte pour tous. Ce qu’on veut, c’est pour tous, les hommes et les femmes, c’est ça qu’on veut.
Mais nous disons clairement que dans cette première loi, c’est ce que nous faisons, même si ça nous étourdit encore un peu, parce que la vérité vraie c’est qu’en tant que compañeras ça nous est encore très difficile de prendre une responsabilité, n’importe quelle responsabilité.
(…)
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(…)
Vous avez mentionné qu’il y a une commission d’honneur et justice. Quel est son travail, ou quel rôle y jouent les compañeras ?
Dans les questions d’honneur et de justice, de compañeras, c’est comme dans la commune, nous nous relayons, deux conseillères et deux conseillers, deux honneur et justice homme et femme, et la compañera, par exemple, si une compañera a un problème de viol, elle va parler avec la compañera honneur et justice. C’est elle, celle d’honneur et justice, qui se coordonne avec les honneur et justice hommes, pour que la compañera n’ait pas de mal face au compa. C’est comme ça que ça se fait à honneur et justice.
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(…)
Nous avons au niveau de la zone un autre travail qui est spécialement celui de compañeras femmes. C’est une de leurs initiatives, elles ont fait une cantine-épicerie, elles ont leur réfectoire et une petite épicerie. Elles ont commencé avec quinze mille pesos, elles ont fait un emprunt de quinze mille pesos quand leur idée est née de faire ça. Ça a été une initiative des régionales, des responsables locales, en coordination avec le Conseil, parce que nous les avons soutenues avec des tables, des ustensiles, tout ce qui pouvait servir dans la cantine. Ça s’est fait en coordination, mais l’idée, le travail, l’organisation de comment le faire marcher, ce sont ces compañeras qui le prennent en charge.
Elles ont commencé avec quinze mille pesos, elles ont leur direction, au niveau de la zone, les compañeras responsables, elles se relaient pour préparer la nourriture et vendre. Dans leur premier négoce, elles nous ont informés qu’elles ont obtenu un bénéfice de quarante mille pesos. Avec ces quarante mille pesos elles ont pu rembourser l’emprunt qu’elles avaient fait, de quinze mille pesos, le reste, soit vingt-cinq mille pesos, étant à leur libre disposition.
Elles ont commencé à penser qu’elles avaient besoin de certaines choses pour compléter. Le Conseil les a soutenues, comme je l’ai dit, avec des ustensiles et des tables, mais elles en sont arrivées à penser qu’avec les bénéfices elles voulaient améliorer. Alors avec ces bénéfices, elles se sont mieux préparées. Maintenant, elles sont en train de travailler de cette façon, elles ont leur direction par rotation entre les compañeras, et tous les ans elles changent de direction. Elles contrôlent ce qu’elles vendent dans les villages, elles nous ont informés qu’actuellement elles disposent de 56 176 pesos en espèces depuis leur dernier relevé de caisse.
Tout ça, c’est des travaux que nous faisons au niveau de la zone, pas avec l’objectif de nous répartir les gains, c’est-à-dire pour épuiser ces petits fonds qui se créent, mais pour être parés face à tout besoin que nous pourrions avoir comme zone, pour des choses qui nous aident dans la lutte.
(…)
On sait qu’alors, dans la zone Selva Tzeltal, il y a des compañeras qui sont commissaires, qu’il y a des « agentes », comment faites-vous pour que ces compañeras commissaires ou agentes, enfin racontez-nous, partagez comment c’est. Ça fonctionne, les compañeras autorités locales ? Comment elles font ? Comment travaillent les compañeras ? Parce que là, il y a des compañeros commissaires ou agents, parce que c’est ce que nous voulons ici, nous allons partager comment nous nous enseignons, comment nous nous entraidons, comment nous nous formons. Dans ce cas particulier de compañeras, comment travaillent les compañeras autorités dans les villages ?
Que font les compañeras dans leur communauté, comme commissaire, comme agente ?
Comme agentes, par exemple, dans mon village, ce sont elles qui contrôlent le village, elles veillent à quelques problèmes, comme des questions de problèmes de personne, des animaux qui causent des dégâts, des préjudices, alors c’est l’agente qui se charge de résoudre ce type de problème. Elles font aussi des réunions pour donner des orientations et ne pas provoquer de problèmes de boissons alcooliques, de drogue. Alors toujours, dans chaque réunion, les compañeras participent en donnant ces orientations pour ne pas en arriver à ces graves problèmes. Les commissaires font aussi des réunions pour parler de la terre, des précautions avec les limites de terrains, pour parler de l’usage des agrochimiques. Tout ça, tout ce qui a été planifié avant comme les règlements, c’est ce dont s’occupent les commissaires et les agentes dans les villages, pour assurer ce contrôle.
Une question : est-ce que les compañeras qui sont devenues agentes pour résoudre les problèmes dans les communautés y parviennent seules, ou avec l’aide de compañeros ?
Dans ma communauté, les compañeras demandent parfois l’appui d’une autorité locale, comme responsable, pour écouter si par exemple c’est quelqu’un qui ne peut pas bien participer, alors on lui demande une raison, ou des choses comme ça. C’est souvent que ça arrive, mais si les autorités ne sont pas là, elles font ça toutes seules. Par exemple dans ma communauté il y a une agente qui est une compañera, la suppléante aussi, et à elles deux elles ont résolu les problèmes toutes seules, comme elles ont vu une ou deux fois comment on faisait, elles suivent cet exemple et donnent la solution.
(…)
Parmi les soixante membres, vous êtes moitié compañeras et moitié compañeros ?
Oui, compañero, nous y sommes par moitiés, personne ne vaut plus, personne ne vaut moins.
(…)
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(à suivre)
J’atteste l’authenticité de ce qui précède.
Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, février 2013.
Tierra y Libertad, avec le groupe FUGA. La chanson commence avec un extrait des paroles de l’EZLN au Congrès mexicain, exigeant l’application des Accords de San Andrés, une femme indigène zapatiste a porté notre parole. Le groupe FUGA est formé par Tania, Leo, Kiko, Óscar et Rafa. La chanson se trouve sur le disque Rola la lucha zapatista.
Femmes mapuches en résistance face aux entreprises minières destructrices.
Femmes zapatistes ayant des responsabilités dans le Conseil de bon gouvernement, à La Realidad (Chiapas) en 2008.
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Traduit par El Viejo.
http://lavoiedujaguar.net
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