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Palabra del Ejército Zapatista de Liberación Nacional

Feb142013

Eux et nous VI. Les regards (IV) Regarder et communiquer

Eux et nous

VI. Les regards (IV)

4. Regarder et communiquer

Je vais vous raconter quelque chose de très secret, n’allez pas le divulguer… enfin, c’est vous qui voyez.

Dans les premiers jours de notre soulèvement, après le cessez-le-feu, il y avait beaucoup de bruit autour de l’euzèdélène. Il y avait, par exemple, tout le raffut médiatique que la droite a coutume de provoquer pour imposer des silences et du sang. Quelques-uns des arguments utilisés alors sont les mêmes qu’à présent, ce qui démontre combien la droite est peu moderne et combien sa pensée est ankylosée. Mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui, pas plus que celui de la presse.

Mais, bon, maintenant je vous raconte qu’à l’époque on a commencé à dire que l’EZLN était la première guérilla du XXIe siècle (oui, nous, qui utilisions encore le pieu à fouir pour les semailles, qui de l’attelage de bœufs — soit dit sans offenser — avions seulement entendu parler, et qui ne connaissions le tracteur qu’en photo) ; que le supmarcos était un guérillero cybernétique qui, depuis la forêt Lacandone, lançait vers le cyberespace les proclamations zapatistes qui feraient le tour du monde ; et qu’il comptait sur la communication satellitaire pour coordonner les actions subversives qui se réalisaient dans le monde entier.

Oui, cela se disait, mais… Compas, la veille encore du soulèvement, le « pouvoir cybernétique zapatiste » dont nous disposions était un de ces ordinateurs qui utilisaient les grands disques flexibles et il avait un système DOS version moins un point un. Nous avons appris à nous en servir avec un de ces guides d’avant, je ne sais pas s’ils existent toujours, qui te disaient sur quelle touche appuyer, et on entendait une voix qui disait, avec un accent madrilène, « très bien ! » ; et si tu te trompais elle te disait « très mal, idiot, recommence ! ». Nous l’avons utilisé non seulement pour jouer au pacman, mais aussi pour la Première Déclaration de la forêt Lacandone, que nous avons reproduite sur une de ces vieilles imprimantes à matrice à points qui faisait plus de bruit qu’une mitrailleuse. Le papier était en rouleaux et se coinçait toutes les deux minutes, mais il avait du papier carbone, si bien que nous parvenions à imprimer deux fois toutes les tant d’heures. Nous avons fait un sacré paquet d’impressions, je crois que cent environ. On les distribuait aux cinq groupes de commandement qui, des heures plus tard, prendraient sept chefs-lieux municipaux du sud-oriental État mexicain du Chiapas. À San Cristóbal de Las Casas, qui a été celui que je devais prendre, une fois la grand-place soumise à nos forces, nous avons collé avec du masquinetéïpe (ou quel que soit son nom) les quinze exemplaires qui nous revenaient. Oui, je sais que ça ne fait pas le compte, que ça aurait dû être vingt, mais pas de trace des cinq manquants.

Bon, quand nous nous sommes retirés de San Cristóbal, le matin du 2 janvier 1994, le brouillard humide qui a couvert notre repli a aussi décollé les proclamations des murs froids de l’orgueilleuse cité coloniale, et quelques-unes se sont retrouvées jonchant les rues.

Des années plus tard, quelqu’un m’a raconté que des mains anonymes en avaient recueilli quelques-unes et les gardaient jalousement.

Sont venus ensuite les Dialogues de la Cathédrale. J’avais alors un de ces ordinateurs portables et légers (il pesait 6 kilos sans la batterie), marque La Migaja, avec 128 de ram, je veux dire 128 kilooctets de ram, disque dur de 10 mégas, autrement dit qui pouvait tout stocker, et un processeur super-rapide, tu l’allumais, tu allais te préparer un café, tu revenais, et tu pouvais le réchauffer sept fois, ton café, avant de pouvoir commencer à écrire. Un petit bijou de machine. Dans la montagne, pour la faire fonctionner, nous utilisions un inverseur de courant connecté à une batterie de voiture. Ensuite, notre département de haute technologie zapatiste a conçu un appareil qui faisait fonctionner l’ordinateur avec des piles « D », mais il pesait plus lourd que l’ordi et, je le soupçonne, a eu quelque chose à voir avec le fait que le PC a expiré avec une flambée, du plus bel effet pour sûr, et une fumerole qui a fait fuir les moustiques pendant trois jours de suite. Le téléphone satellite avec lequel le Sup communiquait avec « le terrorisme international » ? Un talkie-walkie d’une portée maximale de 400 mètres sur terrain plat (il doit se balader encore quelques photos du « guérillero cybernétique », ha !). Alors Internet ? En février 1995, quand l’armée fédérale nous poursuivait (et pas précisément pour une interview), le PC portable est resté dans le premier ruisseau que nous avons passé à gué, et les communiqués de cette époque ont été faits sur une machine à écrire mécanique que nous avait prêtée un responsable communautaire d’un des villages qui nous ont protégés.

C’était là le puissant équipement de haute technologie que nous possédions alors, nous les « guérilleros cybernétiques du XXIe siècle ».

Je suis vraiment désolé si, en plus de mon ego déjà bien abîmé, je détruis quelques illusions qui ensuite ont poussé dans le coin, mais ça s’est passé comme ça, tel que je vous le raconte à présent.

Bref, plus tard, nous avons su que…

Un jeune étudiant du Texas (USA), peut-être un nerd (comme vous le diriez), a fait une page web et y a mis seulement « ezln ». Ça a été la première page web de l’ezln. Et ce compa a commencé à y mettre tous les communiqués et lettres qui étaient rendus publics dans la presse écrite. Des gens d’autres parties du monde, qui avaient appris le soulèvement par des photos, des images vidéo enregistrées, ou par des articles de presse, cherchaient là ce qui était notre parole.

Ce compa, nous ne l’avons jamais connu. Ou peut-être que si.

Peut-être qu’un jour il est arrivé jusqu’aux terres zapatistes, comme un parmi les autres. S’il est venu, il n’a jamais dit « c’est moi qui ai fait la page de l’ezln ». Il n’a pas dit non plus « grâce à moi, on a entendu parler de vous dans bien des parties du monde ». Et encore moins « je viens pour que vous me remerciiez et que vous me rendiez des hommages ».

Il aurait pu le faire, et les remerciements auraient été modestes, mais il ne l’a pas fait.

Et peut-être que vous ne le saviez pas, mais il y a bien des gens comme ça. Des gens sympas qui font les choses sans rien demander en échange, sans se les faire payer, « sans faire de bruit », comme nous disons, nous les hommes et femmes zapatistes.

Et bien sûr le monde a continué à tourner. Sont arrivés des compas qui y connaissaient quelque chose en informatique, et on a fait d’autres pages web et on est arrivés à ce qu’on a maintenant. C’est-à-dire à ce maudit serveur qui ne marche pas comme il devrait, même si nous lui chantons et dansons La Paimpolaise sur un rythme de cumbia-corrido-ranchera-norteña-tropical-ska-rap-punk-rock-balade-populaire.

Également sans faire de bruit, nous remercions ce compa : que les dieux les plus premiers et/ou ce qu’il y a de suprême dans ce en quoi il croit, doute, ou décroit, le bénissent.

Nous ne savons pas ce qu’a pu devenir ce compa. Il est peut-être l’un des Anonymous. Peut-être continue-t-il à surfer sur le net, cherchant une noble cause à soutenir. Peut-être est-il méprisé à cause de son apparence, peut-être est-il autre, peut-être est-il mal vu de ses voisins, de ses camarades de travail ou d’études.

Ou peut-être que c’est une personne normale, un de plus parmi les millions qui marchent par le monde sans que personne n’en tienne le compte, sans que personne ne les regarde.

Et peut-être qu’il arrivera à lire ce que je vous raconte, et qu’il lira ce qu’à présent nous lui écrivons :

« Compa, ici, à présent, il y a des écoles là où avant seule poussait l’ignorance ; il y a de quoi manger peu, mais dignement, là où aux tables la faim était l’invitée quotidienne ; et il y a du soulagement là où la seule médecine pour la douleur était la mort. Je ne sais pas si tu t’y attendais. Peut-être que tu le savais. Peut-être as-tu vu un peu d’avenir dans ces paroles que tu as relancées vers le cyberespace. Ou peut-être que non, peut-être que tu l’as fait seulement parce que tu sentais que c’était ton devoir. Et le devoir, nous, femmes et hommes zapatistes, le savons bien, est l’unique esclavage qu’on embrasse de sa propre volonté.

Nous, nous avons appris. Et je ne me réfère pas à apprendre l’importance de la communication, ou à savoir les manières des sciences et des techniques de l’informatique. Par exemple, en dehors de Durito, aucun d’entre nous n’a pu relever le défi de faire un communiqué par twit. Face aux 140 caractères, je ne suis qu’un inutile, qui tombe et retombe dans les virgules, (les parenthèses), les points de suspension… et j’y passe ma vie et je manque de caractères. Je crois improbable de pouvoir y arriver un jour. Durito, pour l’exemple, a proposé un communiqué qui s’ajuste aux limites du twit et qui dit :

123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 123456789 1234567890

Mais le problème est que le code pour déchiffrer le message occupe l’équivalent des sept tomes de l’encyclopédie « Les Différences », que l’humanité entière est en train d’écrire depuis qu’elle a commencé sa pénible marche sur la terre, et dont la publication a été interdite par le Pouvoir.

Non. Ce que nous avons appris, c’est qu’il y a des gens, là-bas à l’extérieur, loin ou près, que nous ne connaissons pas, qui peut-être ne nous connaissent pas, et sont des compas. Et ils le sont, non pas parce qu’ils ont participé à une marche de soutien, qu’ils ont visité une communauté zapatiste, qu’ils portent un foulard rouge au cou, ou qu’ils ont signé un manifeste, une feuille d’adhésion, une carte de membre ou quelque chose de ce style.

Ils le sont parce que nous, les hommes et les femmes zapatistes, nous savons bien que de même que sont nombreux les mondes qui habitent ce monde, de même sont nombreux les formes, les modes, les temps et les lieux pour lutter contre la bête, sans demander ni attendre rien en échange.

Nous t’envoyons une embrassade, compa, où que tu te trouves. Je suis sûr que tu peux déjà répondre à la question qu’on se pose, femme ou homme, quand on commence à marcher : « est-ce que ça vaut la peine ? »

Peut-être vas-tu remarquer que dans une communauté ou dans une caserne, une pièce d’informatique zapatiste s’appelle « lui », comme ça, en minuscules. Et peut-être vas-tu remarquer ensuite que si une des personnes invitées tombe sur cette chambre, remarque l’écriteau et demande qui est ce « lui », nous répondons « nous ne savons pas, mais lui, il sait ».

Bon. Santé, et oui, ça a valu la peine, je crois.

Depuis etc., etc.

Nous, femmes et hommes zapatistes de l’euzèdélène point com point org point net ou point comme ça doit se dire. »

*

Et tout cela vient à point, ou à virgule, c’est selon, parce que vous vous êtes peut-être rendu compte que nous confions beaucoup de choses aux médias libres et/ou libertaires, comme on voudra, et aux personnes, groupes, collectifs organisations qui ont leurs propres façons de communiquer. Des personnes des groupes, des collectifs, des organisations qui ont leurs pages électroniques, leurs blogs, ou comme ça s’appelle, qui donnent un espace à notre parole, et maintenant aux musiques et aux images qui les accompagnent. Et des personnes ou des groupes qui n’ont peut-être même pas d’ordi, mais que ce soit en bavardant, ou par un tract, ou un journal mural, ou en traçant un graffiti ou sur un cahier ou un bus, ou dans une pièce de théâtre, une vidéo, un devoir scolaire, une chanson, une danse, un poème, une toile, un livre, une lettre, regardent les lettres que notre cœur collectif dessine.

S’ils ne nous appartiennent pas, s’ils ne sont pas organiquement nôtres, si nous ne leur donnons pas d’ordres, si nous ne leur commandons pas, s’ils sont autonomes, indépendants, libres (ce qui veut dire qu’ils et elles se commandent eux·elles-mêmes), ou comme ça doit se dire, pourquoi le font-ils, alors ?

Peut-être parce qu’ils pensent que l’information est un droit de tou·te·s, et que c’est à chacun qu’incombe la responsabilité de savoir quoi faire ou défaire avec cette information. Peut-être parce qu’ils sont solidaires et ont pris l’engagement de soutenir ainsi qui lutte aussi, mais avec d’autres modalités. Peut-être parce qu’ils ressentent le devoir de le faire.

Ou peut-être pour tout cela et plus encore.

Elles, eux, doivent le savoir. Et certainement ils l’ont écrit là, sur leur page, sur leur blog, sur leur déclaration de principes, sur leur tract, dans leur chanson, sur leur mur, sur leur cahier, dans leur cœur.

Autrement dit, je parle de ceux qui communiquent entre eux et avec d’autres ce qu’ils sentent dans notre cœur, c’est-à-dire ce qu’ils écoutent. De qui nous regarde et se regarde en train de nous penser et devient pont, et découvre alors que ces paroles qu’il écrit, chante, répète, transforme, ne sont pas des hommes et femmes zapatistes, qu’elles ne l’ont jamais été, qu’elles sont de vous, et de tous et de personne, et qu’elles sont un bout d’une partition dont personne ne sait où elle se trouve, et alors vous découvrez ou confirmez que quand vous nous regardez en train de nous regarder vous regarder, vous êtes en train de jouer et de parler de quelque chose de plus grand pour quoi il n’y a pas encore d’abécédaire, et qu’ainsi vous n’appartenez pas à un groupe, collectif, organisation, secte, religion, ou comment qu’on l’appelle, mais que vous êtes en train de comprendre que le passage à l’humanité s’appelle à présent « rébellion ».

Peut-être qu’avant le clic signifiant votre décision de mettre notre parole sur vos espaces, vous vous demanderez « est-ce que ça vaut la peine ? ». Peut-être que vous vous demanderez si vous ne contribuez pas à ce que le marcos se trouve sur une plage européenne, jouissant de l’aimable climat de ces calendriers dans ces géographies. Peut-être que vous vous demanderez si vous n’êtes pas en train de servir une invention de « la bête » pour tromper et simuler la rébellion. Peut-être vous répondrez-vous à vous-mêmes que, à cette question de « est-ce que ça vaut la peine ? », c’est à nous les femmes et hommes zapatistes d’y répondre, et que quand vous cliquez sur l’ordi, la bombe à peinture, le crayon, la guitare, le cédé, la caméra, vous nous engagez à répondre « oui ». Et alors vous cliquez sur « upload » ou « enregistrer » ou « télécharger », ou sur l’accord initial ou sur le premier passage-couleur-verso, ou comme ça s’appelle.

Et peut-être que vous ne le savez pas, même si ça me semble évident, mais vous nous rendez un service. Et je ne le dis pas parce que notre page « dégringole » de temps en temps, comme si elle était dans le slam et que lorsqu’elle se lançait dans le vide il n’y avait aucune main fraternelle pour adoucir la chute, qui sur du ciment fait toujours mal quels que soient le calendrier et la géographie. Je le signale parce que de l’autre côté de notre parole il y en a beaucoup qui ne sont pas d’accord et le manifestent ; il y en a encore plus qui ne sont pas d’accord et ne prennent même pas la peine de le dire ; il y en a quelques-uns qui, eux, sont d’accord et le manifestent ; il y en a un peu plus qui sont d’accord et ne le disent pas ; et il y a une grande, une immense majorité, qui ne se rend compte de rien du tout. C’est à ces derniers que nous voulons parler, c’est-à-dire regarder, c’est-à-dire écouter.

*

Merci, compas, nous le savons. Mais nous sommes sûrs que, même si nous ne le savions pas, vous, vous le savez. Et c’est de ça précisément que nous, hommes et femmes zapatistes, nous croyons qu’il est question : changer le monde.

(à suivre)

Depuis n’importe où, dans n’importe lequel des mondes.

SupMarcos

Planète Terre.

Février 2013.

P-S Oui, il y a peut-être, dans la lettre au compa du Texas, quelque piste pour le prochain mot de passe…

P-S QUI PRÉCISE INUTILEMENT. Nous n’avons pas non plus de compte twiter ni facebook, ni de courrier électronique, ni de numéro de téléphone, ni de boîte postale. Ceux qui apparaissent sur la page électronique sont ceux de la page, et ces compas nous soutiennent et nous envoient ce qu’ils reçoivent, de même qu’ils retransmettent ce que nous envoyons. Par ailleurs nous sommes contre le copyright, si bien que n’importe qui peut avoir son twiter, son facebook, ou comment qu’on les appelle, et utiliser nos noms même si, bien sûr, ils ne sont pas nous et ne nous représentent pas. Mais, à ce qu’on m’a dit, la majorité d’entre eux et elles précisent qu’ils·elles ne sont pas qui ils·elles sont censé·e·s être. Et à vrai dire, ça nous amuse d’imaginer la quantité d’insultes et de mentions désobligeantes de la mère (qui ne sont pas à la menthe), originalement adressées à l’euzèdélène et/ou à l’auteur de ces lignes, qu’ils ont reçues et recevront.

Du Japon, la chanson et chorégraphie Ya basta, de Pepe Hasegawa. On suppose qu’elle a été présentée à la préfecture de Nagano (Japon) en 2010. À vrai dire, je ne sais pas ce que racontent vraiment les paroles, j’espère seulement que ce ne sont pas des mentions sans menthe.

De Suède, ska avec le groupe Ska’n’ska, de Stockholm. La chanson s’appelle Ya Basta et fait partie de leur disque Gunshot Fanfare.

De Sicile (Italie), le groupe Skaramanzia avec la chanson Para no olvidar, du disque La lucha sigue.

De France, EZLN par le groupe de ska Ya Basta !. Du disque Lucha y fiesta.

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Traduit par El Viejo.

http://www.lavoiedujaguar.net

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